23 avril 2008
Réforme de la compensation, les riches doivent-ils payer plus d’impôts ?
Tout le monde (ou presque) convient qu’il faut corriger le système de compensation tel qu’il fonctionne aujourd’hui, en raison notamment des énormes déperditions de ressources qu’il génère ; ces ressources n’atteignant que faiblement les populations auxquelles elles sont destinées. Tout le problème est cependant de savoir comment décliner cette correction (ou cette réforme) ! C’est l’objet des consultations en cours, mais, depuis longtemps déjà, un mot revient comme un leitmotiv : le ciblage.
Pour un usage efficace de la subvention, explique-t-on ici et là, il faudrait parvenir à en réduire le montant, de plus en plus élevé, tout en améliorant substantiellement les revenus des plus faibles. Ainsi présenté, l’objectif recherché ne souffre aucune contestation possible.
Récemment encore, des experts de la Banque mondiale ont présenté à Rabat les expériences de ciblage mises en place par l’Indonésie et le Mexique.
Le problème est que si, dans l’absolu, le ciblage de la subvention paraît à la fois une démarche équitable et efficace, sa mise en œuvre ne va pas de soi. La preuve, on en parle depuis une quinzaine d’années, mais on ne fait qu’en parler ! C’est que, dans la pratique, les difficultés sont nombreuses pour asseoir une telle réforme : comment définir les pauvres ? et à supposer que ceux-ci soient correctement identifiés, comment s’assurer que la subvention (ou l’aide monétaire directe) leur parvienne ? quels mécanismes de contrôle, et éventuellement de recours, mettre en place ? comment savoir si les pauvres sont toujours pauvres, ou ne le sont plus ? comment savoir si ceux qui étaient à la frontière de la pauvreté n’y ont pas basculé entre-temps ? Autant de questions auxquelles il n’est pas aisé de répondre !
Les pauvres mais aussi les vulnérables
Curieusement, aucune alternative au ciblage de la subvention n’a été présentée. Il existe pourtant un moyen d’obtenir à peu près le même résultat que celui attendu du ciblage de la subvention : le ciblage de l’impôt. Puisque l’on considère, à juste titre, que les riches profitent des subventions plus que les pauvres, il suffirait alors de demander à ces riches de restituer la subvention par l’impôt. Il ne faudrait pas y voir un impôt sur la fortune, comme cela se pratique dans certains pays, mais une simple restitution de la subvention, moyennant une imposition adéquate.
C’est que, dans les conditions actuelles, marquées par un renchérissement des prix des matières premières, le ciblage de la subvention au profit d’un nombre limité de bénéficiaires risque de déboucher sur des mécontentements en série au sein des couches vulnérables, celles qui ne font pas encore partie des 14 % de pauvres mais qui risquent de le devenir. Autrement dit, si l’Etat sait ce que lui coûtent les subventions, sait-il ce que risque de lui coûter la réforme ? Le contexte ne paraît pas particulièrement favorable ; la réforme aurait dû sans doute être menée au moment où les prix n’avaient encore atteint les niveaux d’aujourd’hui.
Mais comment récupérer la subvention, indûment consommée par les riches ? « En taxant plus fortement les revenus qui dépassent un certain seuil », suggère un syndicaliste. L’Union marocaine du travail (UMT) ne cache d’ailleurs pas qu’elle est favorable à la création d’une tranche de l’impôt sur le revenu (IR) qu’il faudrait taxer à 50 ou 60 % par exemple. « Est-il équitable que celui qui touche 500.000 DH par mois, ou 300.000 DH ou même 100.000 DH soit imposé au même niveau [42 %, NDLR] que celui qui perçoit 5000 DH par mois ? », s’interroge Miloudi Moukhariq, secrétaire national de l’UMT, qui considère par ailleurs qu’un salaire de 5000 DH par mois, dans les conditions d’aujourd’hui, ne permet même pas à son bénéficiaire de se réclamer de la classe moyenne.
Quid de l’exonération agricole ?
Du coup, la refonte de l’IR est présentée par beaucoup comme un des moyens qui permettraient d’introduire plus d’équité et d’efficacité dans le système fiscal. Outre le fait que les bas salaires sont fortement imposés et que les plus élevés le sont moins, l’impôt sur le revenu a perdu de sa signification même, puisqu’il se résume pour l’essentiel à un impôt sur les salaires. Alors qu’en théorie, son assiette est composée de cinq catégories de revenus (les revenus salariaux, professionnels, agricoles, fonciers et de capitaux mobiliers), dans la pratique, une seule, celle des revenus salariaux, assure plus des trois quarts des recettes de l’IR.
Dans une étude fouillée sur la fiscalité marocaine, intitulée Evaluation d’un système fiscal controversé, et publiée dans le dernier numéro de la revue Economia, Najib Akesbi, économiste et fiscaliste, note que « (...) des données relatives à la structure des recettes de l’IR par catégories de revenus sur cinq ans (2000-2004) permettent de constater qu’en moyenne les seuls revenus salariaux sont à l’origine de 76,2 % des recettes en question ». Et la situation n’a pas changé depuis. Il y a trois mois, lors d’une rencontre-débat organisée par La Vie éco avec le directeur général des impôts, Nouredine Bensouda, celui-ci avait interpellé les professions libérales, en citant expressément les médecins, sur la faiblesse de leur contribution (et c’est un euphémisme) aux recettes fiscales.
Mais il n’y a pas que les professions libérales, il y a aussi l’agriculture, celle-là officiellement exonérée jusqu’en 2010, alors que beaucoup s’interrogent sur l’opportunité d’une telle exonération, du moins pour les gros exploitants. D’après l’étude de Najib Akesbi, les revenus professionnels ne rapportent que 10,9% des recettes de l’IR, et les revenus et profits fonciers et financiers respectivement 5,4% et 7,5%. Autant dire que l’impôt sur le revenu devrait plutôt s’appeler impôt sur les salaires !
Le même constat est établi à propos de l’impôt sur les sociétés (l’IS). Il est de notoriété publique que cet impôt repose en fait sur une minorité d’entreprises. Sur les 80 000 sociétés soumises à l’IS, analyse Najib Akesbi, 77 assurent à elles seules 44% des recettes de cet impôt ! Et « une centaine tout au plus fournissent entre la moitié et les deux tiers des recettes de l’IS », précise-t-il. Bien « normal » lorsqu’on apprend que sur les 65 518 (sur un total de 80 000 soumises à l’IS) entreprises qui ont déposé une déclaration de résultat en 2004, 41 587 (soit 63,4%) ont déclaré des résultats nuls ou déficitaires.
La baisse de l’IS contestée
Tout cela montre bien qu’il y a une marge à exploiter, mais comment ? « Il faut que tout le monde paie, mais en fonction de la capacité contributive de chacun ; et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Pourquoi avoir baissé l’IS pour le secteur financier qui gagne beaucoup d’argent ? On aurait pu octroyer cette baisse aux seules petites et moyennes entreprises et, ainsi, on aurait du même coup contribué à faire entrer beaucoup d’entre elles dans le secteur organisé, et c’est autant de recettes supplémentaires », s’énerve un militant d’un parti politique.
En tout cas, ils sont nombreux dans les milieux syndical, politique et universitaire à considérer que l’impôt pourrait être opportunément utilisé par les pouvoirs publics pour « prendre et donner là où il faut ». Et l’Etat serait d’autant plus fondé à imposer un peu plus les riches que ceux-ci profitent non seulement de la subvention des produits de base mais aussi des taux préférentiels, voire des exonérations de TVA appliqués à certains produits et services. Najib Akesbi fait partie de ceux qui, depuis longtemps, ne cessent de dénoncer « l’asymétrie analytique » qui consiste à trop s’inquiéter du caractère aveugle de la subvention et ne rien dire sur le caractère tout aussi aveugle de la fiscalité indirecte.
Au Maroc, à l’instar des pays en développement ou en transition, la demande d’Etat, d’un mieux Etat s’entend, est fortement présente. Les seules lois du marché, de l’offre et de la demande, ne fonctionnent pas partout et de la même manière. Ne serait-ce que parce que, au Maroc, le marché, justement, « manque de transparence » et la concurrence y est « limitée ».
Mais l’Etat, pour intervenir, a besoin de ressources ; et celles-ci ne peuvent provenir, dans les conditions qui sont celles du Maroc, que de la fiscalité. Alors, faut-il que les riches paient un plus ?
Source : La vie éco - Salah Agueniou