30 décembre 2006

La montagne qui va accoucher d’une souris

Opinion:

Al Monadara : La montagne qui va accoucher d’une souris

Ayad Ahram

Militant des droits de l'homme (Maroc)

Les 8, 9 et 10 décembre 2006 Rabat accueille le « débat transnational » dans le cadre du collectif Al Monadara. Une occasion en or pour la MAP ( Agence de presse étatique ) de coller à l’actualité. Il ne faut pas être journaliste-médium pour prédire ce qu’écrirait la MAP à l’occasion du 58ème anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme. Voici par anticipation à quelques mots près ce qu’on pourrait lire par exemple dans les journaux officiels et semi-officiels du Maroc :
« Pour commémorer la journée internationale des droits de l’Homme, le Maroc et à travers le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme (CCDH) accueille les 8, 9 et 10 décembre 2006 à Rabat ses compatriotes résidant à l’étranger venus par centaines de plusieurs pays d’Europe pour participer à la conférence nationale sur les réalités de l’émigration marocaine. Au cours de cette conférence, appelée de ses vœux par l’Instance Equité et Réconciliation dans ses recommandations faites au CCDH, les participants ne manqueront pas de souligner l’attention toute particulière que le souverain, dans ses discours à la nation a porté à leur égard en terme de participation future aux échéances nationales ou encore à la constitution d’un Haut Conseil de
la Communauté Marocaine à l’Etranger (HCCME)……. »
Elle ne dira par contre pas un mot sur les sit-in organisés ici et là par l’AMDH, le FMVJ, la Coordination contre la hausse des prix, sur l’initiative de la famille El Manouzi ou encore sur le rassemblement appelé par plusieurs associations (AMF, APADM, ASDHOM, ATMF, FVJ-France, Institut Mehdi Ben Barka….) sur le parvis des droits de l’Homme à Paris pour exiger la vérité sur tous les disparus dont le sort demeure inconnu. Et pour cause. Dans le premier cas, le CCDH y est associé. Il y a été même de sa poche ou plutôt de la poche du contribuable. Le financement des billets d’avion et l’hébergement a été pour l’essentiel pris en charge par le CCDH. Directement ou indirectement, des voix parmi celles qui ne sont pas invitées se sont élevées pour réclamer le même traitement et elles ont bien raison sur le principe. Pour préparer cette manifestation somme toute importante, des rencontres voire même des contacts au plus haut niveau ont été nécessaires.
Dans les autres cas, l’approche politique et philosophique est tellement loin de celle choisie par l’IER pour solder un passif lourd qu’ils n’auront peut-être pas droit de cité.
Rappelons les faits et le contexte.
Dès le discours à la nation du 6 novembre 2005 où le Roi Mohamed VI a promis à ses « sujets » installés à l’étranger la participation au vote, le droit de se présenter aux élections ou encore la constitution d’un Haut Conseil de la Communauté Marocaine
à l’Etranger (HCCME) pour les associer à la gestion de la vie publique au Maroc, quelques personnalités, bien inspirées, agissantes au sein de l’immigration marocaine aux Pays-Bas, en Espagne, en Belgique et en France notamment se sont emparées du dossier pour mettre en avant une revendication aussi légitime qu’historique que réclamaient haut et fort les associations démocratiques issues de l’immigration marocaine. Je ne veux parler ici de ces quelques arrivistes démasqués sortis par la grande porte et qui saisissent l’occasion pour revenir par la petite fenêtre en parlant au nom de « structures représentatives » des marocains à l’étranger telles que le Congres de Saïd Cherchira, le Conseil mondial, le Conseil des marocains en France et que sais-je encore ?

Il s’agit d’apporter quelques éléments d’analyse pour bien apprécier les tenants et les aboutissants de l’initiative qui porte le nom d’Al Monadara portée par des militants acquis à la cause aussi bien des citoyens marocains à l’étranger que des citoyens de l’intérieur.
Une effervescence va secouer le milieu associatif marocain en Europe à commencer par les Pays-Bas où un certain 17 décembre
2005 a réuni, à l’initiative de EMCEMO ou plutôt d’Abdou Menebhi de EMCEMO quelques représentants (très initiés) d’associations venues de France, de Belgique et d’Espagne pour discuter du discours royal et de lancer ce qu’ils ont appelé « le débat transnational ».

Un appel, une sorte de charte fondatrice, a été signé pour donner naissance au collectif « Al Monadara ». Il reprend à son compte les cinq recommandations faites par l’IER concernant les communautés marocaines à l’étranger et on peut y lire exactement :
« Sous le titre "consolidation et respect des droits et des intérêts des communautés marocaines à l'étranger" (livre I page 123 et livre IV page 93 et), l'IER propose dans son rapport final 5 recommandations relatives à l'immigration marocaine :

1. Se félicite de la demande faite par SM le Roi Mohamed VI au gouvernement de garantir la pleine et entière participation des émigrés marocains aux prochaines échéances électorales nationales, ainsi que l'institution d'un Conseil Supérieur des Marocains vivants à l'étranger.

2. Estime que l'élaboration d'une nouvelle politique respectueuse des droits et des intérêts des communautés marocaines implantées à l'étranger exige un processus large de concertation entre le futur Conseil, l'ensemble des associations et acteurs des dites communautés et le gouvernement. Celui-ci peut notamment se concrétiser par une conférence nationale sur les réalités de l'émigration marocaine.

3. Demande en attendant le gel de la participation des amicales qui ont un rôle ou un autre dans les atteintes aux droits des migrants marocains dans toute institution publique ou parapublique.

4. Recommande la création d'un musée national de l'émigration, retraçant la contribution de la diaspora marocaine à l'histoire nationale.

5. Recommande au Comité chargé du suivi de la réparation de veiller à la solution des cas de nationaux, réfugiés à l'étranger, et qui n'ont pas encore regagné la terre natale, notamment en aidant à la résolution des problèmes administratifs qu'ils peuvent rencontrer. »

Ceci explique cela. Il ne faut pas s’étonner de lire dans le même appel d’Al Monadara que « l’enjeu est essentiel car il y va de l’avenir de notre communauté installée à l’étranger et de son rôle dans la consolidation du processus de démocratisation de la société marocaine ». Ou encore que « sur le plan matériel, on ne cesse de répéter que les citoyens marocains à l’étranger constituent, depuis longtemps, la première ressource financière pour l'économie marocaine fragilisée. On peut espérer que le processus démocratique ainsi assuré dans un état de droit marocain, favorisera encore plus l’apport financier des Citoyens de la communauté marocaine à l'étranger ». L’éloge de l’approche officielle de la question de l’immigration marocaine bat son plein quand, s’agissant de favoriser la participation des migrants dans le développement social, économique et politique de leur pays d’origine, il est noté qu’ « aujourd'hui cette approche est de plus en plus reconnue et encouragée par les instances politiques tant celles des pays d'origine que celles des pays d'accueil. Il convient d'apprécier judicieusement et posément les opportunités attendues et de préciser les modalités de sa mise en pratique ». Et si à cela j’ajoute que l’appel en question considère les problèmes rencontrés par les marocains de l’étranger et les relations conflictuelles entre eux et leur pays d’origine comme de simples et malheureux « malentendus et questionnements », la messe est dite. Dès lors qu’on inscrive cette démarche dans la ligne proposée par l’IER, on peut tout mettre en branle pour arriver à ses fins. Les animateurs du collectif Al Monadara ont mis en place un calendrier très étoffé de rencontres-débats pour convaincre et sensibiliser sans oublier les conférences de presse dans les grands hôtels de Rabat. Les arguments sont rodés. Les tenants de cette stratégie nous ont « bourrés le crâne » avec leurs « la nature a horreur du vide », « il faut être constructif » ou encore « la chaise vide ne profite qu’à l’adversaire car les absents ont toujours tort ». Une course effrénée aux strapontins est donc lancée au point que l’un des animateurs d’Al Monadara en l’occurrence Abdou Menebhi des Pays-Bas, appuyé par El Biyouki d’Espagne et Boukerna de Belgique s’est permis d’entreprendre des démarches (rencontres avec El Himma, Chekrouni, des députés…etc.) et de prendre des décisions sans consulter le reste du Collectif. Des membres du secrétariat se sont élevés contre ces pratiques en mettant en avant le manque de transparence et la précipitation dans la prise de décisions. Les premières pommes de discorde sont donc apparues. C’est d’autant plus légitime que le groupe n’est pas homogène et chacun y va de sa petite stratégie.
Le débat de fond :
Les revendications de l’immigration marocaine exprimées à travers ses associations démocratiques sont multiples. Pour répondre à une partie d’entre elles le Roi du Maroc a, dans son discours du 6 novembre 2005, décidé d’octroyer le droit de vote et d’éligibilité ainsi que la constitution d’un HCCME. Ce qui est frappant dans l’expérience d’Al Monadara est que l’essentiel du débat est mené sur le seul niveau du HCCME. Le niveau de la participation aux échéances électorales nationales quant à lui est relégué au second plan. Dans presque toutes les publications qui ont circulé sur le net (Appel, comptes-rendus de rencontres, article de presse,…etc.) on ne parle que de grands principes généraux et surtout des détails techniques d’organisation de telle ou telle rencontre. Le principe de la participation au HCCME étant donc acquis. Les grands dossiers thématiques sur l’immigration marocaine peuvent donc attendre. Peut-être que les journées annoncées des 8, 9 et 10 décembre nous surprendront-elles ? Ceci étant, une chose est sûre. Un comité scientifique d’Al Monadara était mis en place pour recevoir les propositions et les réflexions sur toutes les thématiques relatives à l’immigration marocaine. A ma connaissance, une seule participation lui est parvenue ; celle de Boukerna. Il s’agit d’une proposition de loi portant création du HCCME et de sa composition. Heureusement que le ridicule ne tue pas. Un peu de temps après, un avant projet de dahir portant création du HCCME émanant de madame la ministre Nouzha Chekrouni est publié sur le net et où il parait clairement que les places réservées aux associations de l’immigration ne sont pas de par leur nombre à la hauteur des ambitions et espoirs nourris par les uns et les autres. La réponse de Mohammed Moubaraki de France en charge du comité scientifique ne s’est pas faite attendre. Il écrit aux autres membres du secrétariat ceci :
« Si c'est ce texte d'avant projet de dahir, que nous avons reçu, qui va être mandaté par le roi, je vous dis d'avance que ne n'est pas la peine de courir comme les lapins et de prendre son temps, comme la tortue, pour organiser les choses comme prévu ».
Peu avant les vacances d’été 2006 les responsables marocains décident de revenir sur leurs positions relatives à la représentation des marocains à l’étranger et ajournent toute décision à une date non définie. Les conditions n’ont peut-être pas été réunies pour garantir le déroulement des opérations sans y laisser des plumes. D’aucuns disent que le PJD allait rafler la mise au niveau de la communauté marocaine à l’étranger. La tournée en Europe de son représentant El Otmani a-t-elle été si efficace au point de faire trembler tout un système ?
Les choses sont restées en gestation. Les contacts ne se sont pas arrêtés pour autant. Driss El Yazami, ancien membre de l’IER, pressenti président du futur HCCME a entamé des entretiens en vue d’une composition sur mesure.

Le 6 novembre 2006 et lors de son discours à la nation, le Roi Mohammed VI revient sur ce dossier et décide de le traiter en plusieurs étapes. Il accorde dans un premier temps et ce dès les échéances de 2007 le droit de vote aux marocains de l’étranger à condition qu’ils rentrent l’exercer au Maroc. Exit donc les circonscriptions dans les pays d’accueil. Il confie ensuite au CCDH la mission d’entamer des contacts avec les concernés en vue de la formation du HCCME. Il édictera le dahir portant création de ce conseil et nommera ses membres sur proposition du CCDH le moment qu’il jugera opportun.

Pendant ce temps là, les choses bougent au sein du collectif Al Monadara. Quelques nouvelles recrues ont rejoint le collectif. Il s’agit des jeunes de l’UJEM derrière leur chef de file Samad Filali, allié récent d’Al Wasl (proche de l’USFP) qui comme par hasard multiplie les initiatives ces derniers temps (Mailing fréquent).
Les dernières rencontres du collectif notamment celle du 14 octobre à Paris et celle du 28 octobre à Bruxelles ont été mouvementées. Elles ont vu s’affronter deux visions. Celle qui est portée par ceux qui dès le début ont voulu presser le pas pour accéder à ce HCCME. Abdou Menebhi, Boukerna et El Biyouki ne s’en cachaient pas. Ils seront fort probablement nommés par le Roi pour aller à l’instar de Driss Benzekri répandre la bonne parole et vanter les mérites de notre « démocratie ». La deuxième vision soutenue par des militants aguerris, responsables d’associations ayant une légitimité historique telles que l’ATMF.
Cette vision a réussi non sans mal à imposer un certain code de conduite en élargissant le secrétariat du collectif et surtout en adoptant le principe de « convention de partenariat » qui est censée déterminer les responsabilités, les devoirs et les prérogatives des uns et des autres. Les tenants de cette vision ont une approche plus globale du dossier de l’immigration qui dépasse le simple cadre de la participation au HCCME. Quel mode de représentativité sera choisi pour ce haut conseil ? Les associations de défense des intérêts des marocains de l’étranger y exerceront-elles un vrai contrôle ? Les accords bilatéraux qui gèrent l’immigration marocaine seront-ils un jour revisités ? Y sera-t-il possible un jour d’ouvrir le dossier des amicales pour mettre à nu leur rôle dans la répression politique qui s’est abattue sur les militants démocratiques installés à l’étranger ?
Entendra-t-il les doléances des victimes du passé et du présent ? Fera-il des recommandations pour établir les responsabilités et engager des poursuites à l’encontre des commanditaires ou se contentera-t-il de demander aux marocains de l’étranger de se réconcilier avec leur histoire et de tourner la page comme l’a fait l’IER ?
Autant de questions et plus encore sont posées. Trouveront-t-elles des réponses lors de la conférence des 8, 9 et 10 décembre à Rabat ? Une chose est sûre : ces journées verront se confronter les deux approches. L’approche qui prône la vérité, l’établissement des responsabilités, la lutte contre l’impunité et la culture des droits humains qui englobe ceux des migrants triomphera-t-elle ? Pas si sûr malheureusement. Le Maroc n’est pas encore prêt à s’assumer. Les responsables marocains vont peut-être écouter nos sirènes mais ils ne les entendront pas. Le HCCME est en route. Il nous sera livré dans peu temps. Une énième coquille vide nommée à l’instar d’autres conseils consultatifs. Ceux qui auraient souhaité honnêtement peser de l’intérieur auront tout de même essayé. Que les scientifiques se rassurent. Leur expérience de la cloche vide où tout poids est anéanti a encore de beaux jours devant elle.
Cette grande montagne où des sons de cloche se seront exprimés accouchera d’une petite souris. Grandira-t-elle un jour ? C’est là toute la question.
Suit…
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