La question que nous nous posons aujourd’hui revêt une importance majeure pour beaucoup de marocains de l’étranger qui ont choisi et réussi une intégration économique et sociale dans le pays d’accueil sans rompre leur lien profond avec leur pays d’origine.
Il s’agit généralement de familles multiculturelles fondées à la suite de ce que l’on appelle communément un mariage mixte. Ces familles regroupent naturellement les époux et leurs enfants.
A côté des mariages classiques entre des marocains et leurs épouses de confession chrétienne ou juive, nous trouvons également, et bien évidemment, les mariages entre des marocaines et leurs époux étrangers de confession musulmane ou reconvertis à l’Islam.
S’agissant des premiers, force est de rappeler que certains couples choisissent, lors du mariage, de porter en même temps leurs deux noms de famille, ce qui est parfaitement valable juridiquement dans beaucoup de pays d’accueil. En plus, les enfants nés de ce mariage peuvent porter deux prénoms en rapport avec la double culture de leurs parents. Mieux encore, parvenu à un certain âge, l’enfant peut renoncer au prénom octroyé et revendiquer un autre de son choix. Dans tous ces cas, l’enfant sera toujours considéré comme étant aussi marocain.
La question qui se pose - et se posera avec insistance dans les années à venir - est celle de savoir si notre parlement a songé à adapter notamment les lois marocaines relatives à la nationalité et à l’état civil à cette réalité sociale de dimension internationale, sans parler des dispositions législatives relatives au domicile et à la résidence contenues dans le code de procédure civile.
A en juger par le retard considérable enregistré dans l’exécution par les instances administratives compétentes de la décision royale annoncée dans le discours du trône du 30 juillet 2005, de conférer à l’enfant le droit d’obtenir la nationalité de sa mère marocaine, tout porte à penser que la reconnaissance par le législateur marocain des droits sociaux et culturels des nouvelles générations de marocains de l’étranger se heurtera sans doute à d’innombrables résistances, dont celle du parti islamiste marocain que les sondages américains donnent favori aux prochaines élections électorales.
Convient-il de rappeler que le Souverain est intervenu, lors du discours du 30 juillet 2005, soit depuis maintenant un an et demi , pour trancher définitivement la question qui était jusque là pertinente de conférer à l’enfant le droit d’obtenir la nationalité de sa mère en ces termes :
Soucieux de toujours répondre aux préoccupations réelles et aux aspirations légitimes et raisonnables de tous les citoyens - qu’ils résident au Royaume ou à l’étranger -, Nous avons décidé, en Notre qualité de Roi-Commandeur des Croyants (Amir Al-Mouminine), de conférer à l’enfant le droit d’obtenir la nationalité marocaine de sa mère.
On constate aisément que cette décision royale se réfère, et donc se fonde sur les pouvoirs conférés au Roi par l’article 19 de la Constitution du Royaume. Elle est devenue ainsi une décision définitive qui s’impose constitutionnellement aux pouvoirs législatif, exécutif, et judiciaire.
Juridiquement, l’enfant né d’une mère marocaine et d’un père étranger est censé avoir la nationalité marocaine depuis le discours du 30 juillet 2005 dans la mesure où les décisions royales rendues, dans des domaines spécifiques, sur la base de l’article 19 de la Constitution tiennent lieu de loi.
En fait, le discours royal sur cette question précise comporte trois volets :
Le premier, d’ordre constitutionnel, concerne la décision prise par le Souverain de conférer à l’enfant le droit d’obtenir la nationalité marocaine de sa mère. L’expression est sans équivoque : "Nous avons décidé".
Le deuxième, d’ordre juridique, est relatif au traitement des demandes d’obtention de la nationalité marocaine présentées par ces derniers. En voici les termes : [...] Nous donnons Nos instructions au gouvernement pour qu’il procède diligemment au parachèvement de la procédure de traitement et d’approbation des demandes d’obtention de la nationalité marocaine, qui remplissent toutes les conditions juridiques requises [...].
Il va sans dire que le Souverain a bien précisé que ces demandes doivent remplir toutes les conditions juridiques requises. Or, compte tenu de la valeur juridique de la décision royale de " conférer à l’enfant le droit d’obtenir la nationalité marocaine de sa mère ", laquelle, convient-il de le rappeler, se fonde sur les prérogatives conférées au Roi par l’article 19 de la Constitution, cette décision fait désormais forcément partie des règles juridiques applicables en la matière. Autrement dit, le traitement des demandes d’obtention de la nationalité marocaine à un enfant né d’une mère marocaine doit se référer tant à l’article 19 de la Constitution qu’à la décision royale du 30 juillet 2005 prise dans le cadre de son application, et non plus sur les seules dispositions du code de la nationalité. En attendant que ce dernier soit rénové conformément à la décision royale, qui a une valeur constitutionnelle.
Le troisième volet, d’ordre politique, concerne la réforme envisagée dans son ensemble, laquelle nécessite évidemment des études, discussions, et démarches préalables telles celles, évoquées par le quotidien marocain "Le Matin" dans son édition du 26 décembre 2006, relatives à la levée des réserves du Maroc au sujet de plusieurs articles de la Convention onusienne par l’élimination de toutes les formes de discriminations contre les femmes", et bien sûr toutes les autres étapes requises pour l’adoption d’une loi nouvelle.
D’où l’importance de ne pas confondre entre les trois volets du discours royal. Autrement dit, une décision administrative qui ne répondrait pas favorablement à une demande d’attribution de la nationalité marocaine sur la seule base de l’article 19 de la Constitution et de la décision royale du 30 juillet 2005 prise dans le cadre de son application serait juridiquement entachée d’excès de pouvoirs et susceptible d’être attaquée devant le tribunal administratif. Selon une jurisprudence marocaine constante, les tribunaux ne peuvent remettre en cause une décision royale prise sur la base de l’article 19 précité.
Mais, la question qui se pose est surtout de savoir si nos concitoyens de l’étranger auront aussi souvent besoin de combats judiciaires longs et coûteux pour faire valoir leurs droits sociaux et culturels dans leur pays d’origine. La question se posera avec plus d’acuité si le parti islamiste participe au prochain gouvernement qui sera nommé après les élections de 2007.
Abdelfattah Bennaouar