06 mars 2007

Immigration : Voir Tripoli et revenir












La Libye veut expulser les travailleurs étrangers en situation irrégulière. Des milliers de Marocains sont concernés. Dans quelles conditions vivent ceux qui sont sur le sol de la Jamahirya ?


Des dizaines de milliers de Marocains sont menacés d’expulsion de Libye. Le ministère de la Main-d’oeuvre, de la Formation et de l’Emploi a décidé d’expulser tous les travailleurs en situation irrégulière d’ici la fin du mois de février 2007. Des milliers de maghrébins et de subsahariens sont touchés par cette mesure. Selon le recensement de ce département, ils sont 700.000 travailleurs étrangers dont 36.000 sont régularisés et 60.000 sont en instance de régularisation. Les Marocains résidant en Libye sont environ 170.000. Un chiffre difficile à vérifier, puisque la plupart ne s’inscrivent pas aux services consulaires du Royaume. Cette nouvelle disposition libyenne n’a pas manqué de semer un vent de panique parmi la communauté marocaine. Ce qui a poussé l’ambassadeur du Maroc en Libye, Moulay Mehdi Alaoui, à tenir une réunion, le 13 février 2007, en présence du directeur du bureau de coopération au ministère libyen de l’Emploi, Hassan Kasseh, et du consul général du Royaume à Tripoli, Abdelwahed Assimi, pour expliquer la nouvelle organisation de la main d’oeuvre étrangère en Libye aux membres de la communauté marocaine et les exhorter à obtenir des contrats de travail pour exercer d’une manière légale dans le pays.

Saïf Al Islam Kadhafi, successeur probable du Guide

Par ailleurs, le ministère de l’Emploi a demandé aux opérateurs libyens à remplacer le personnel étranger par des Libyens demandeurs d’emploi. Argument avancé : faire reculer le chômage, qui touche 30% de la population active. Comme le dit si bien un avocat libyen, « il y a de l’emploi pour tout le monde, mais les jeunes ne veulent pas travailler. » La réputation des Libyens n’est plus à faire. Leur paresse est légendaire.

Ce n’est pas la première saute d’humeur du Raïss de la “Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste”, proclamée en 1969, Mouamar Kadhafi. Tripoli est souvent comparé à une maîtresse capricieuse. Un jour, elle dit oui. Un autre jour, elle dit non. Sa décision, le 31 janvier 2007, d’instaurer le visa pour les ressortissants arabes et maghrébins est l’exemple illustrant ce jeu de “je t’aime, moi non plus”. Depuis qu’elle collabore avec l’Union européenne, la Libye n’est plus le pays hospitalier d’antan. Peut-être ne l’a-t-elle jamais été.

Dès l’atterrissage à l’aéroport international de Tripoli, son visiteur le constate. Et les premières démarches administratives ne font que conforter cette impression. Les agents des frontières ne cachent pas leur rejet de l’étranger ni leur mépris pour la femme. Cet aéroport, malgré sa vocation internationale, ne dispose d’aucune structure accueillante. Juste le change d’argent relève du parcours du combattant. Passer par les circuits informels est plus avantageux, même si les taux appliqués sont trois fois plus élevés que le cours normal.

La seule lueur de soleil dans cet aéroport est un snack-restaurant tenu par deux Marocains, installés depuis plusieurs années à Tripoli. Quoi que les immigrants marocains viennent après les Égyptiens et les Tunisiens, ils sont très visibles dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. La Jamahiriya a, en effet, fait appel à des compétences marocaines dans le domaine à la fin des années quatre-vingt pour bénéficier de leur savoir-faire dans l’organisation des rencontres arabes et internationales. Le tourisme n’est pas le seul secteur où la main-d’oeuvre marocaine est présente. Elle est aussi dans le bâtiment et l’agriculture, particulièrement dans la région Cyrénaïque. qui a pour capitale Benghazi, deuxième ville libyenne.
Deuxième producteur de pétrole en Afrique après le Nigeria, la Libye est un pays riche. C’est pour cette raison qu’il attire la main d’oeuvre étrangère. Sauf que les conditions de vie y sont rudimentaires. À Tripoli, à part les antennes paraboliques, seul moyen de s’ouvrir sur le monde, et les portraits géants de Mouamar Kadhafi, les lieux de distraction sont très rares. Même circuler dans la rue pour un étranger est un risque. Il est constamment pisté et peut à tout moment être arrêté sans motif apparent.

Al Saha Alkhadra, (Place verte), est l’une des fiertés de la capitale. Elle n’a de vert que le nom. C’est dans les buildings et les immeubles à l’allure moderne qui entourent cette place que Saïf Al Islam Kadhafi, 35 ans, fils aîné de la seconde épouse du Guide, a ses bureaux. Ce golden boy est présenté comme l’opposant du régime Kadhafi. Mais personne ne s’y trompe. S’il y a un point de divergence entre les deux, c’est dans leur mode de vie.

Le père affectionne particulièrement celui des bédouins et le fils mène un train de vie de star américaine, avec hôtel privé à Londres, grosses cylindrées et soirées mondaines. La politique d’ouverture que mène Saïf Al Islam n’est qu’un prétexte pour être au-devant de la scène afin de préparer son éventuelle succession. Sa fondation traite tous les sales dossiers de la Libye, ruinée après huit ans d’embargo militaire et aérien suite à l’implication de ses ressortissants dans deux attentats terroristes, Lockerbie en 1988, et contre l’avion français d’UTA, en 1989. La Libye a payé trois milliards de dollars d’indemnités aux familles des victimes pour voir l’Europe lui ouvrir ses portes.

Avec le Maroc, la Libye n’a jamais eu de relations stables. Par le passé, elles ont connu des hauts et des bas, évoluant au gré de la conjoncture politique. Ce n’est que ces deux dernières années que les deux pays ont commencé à prospecter des opportunités de coopération. Dans ce sens, une délégation marocaine, composée d’une cinquantaine d’hommes d’affaires, s’est rendue en Libye, le 17 janvier 2007. Après cette mission, des informations circulent autour d’une éventuelle association entre le gouvernement libyen et les promoteurs marocains pour la construction d’une ville nouvelle en Libye. À savoir si ce projet va aboutir. La Jamahiriya change de position comme d’autres changerent de chaussettes.

Maroc Hebdo - Loubna Bernichi