01 juillet 2006

Malte face à la colère des sans-papiers

Droits de l’homme . Alors que l’île est confrontée à un flux inédit d’immigration depuis son entrée dans l’UE, les clandestins se révoltent contre des conditions d’accueil inhumaines.
Malte, paradis méditerranéen pour touristes, mais prison pour les immigrants. Une émeute d’un genre nouveau a secoué l’île cette semaine : environ 200 clandestins ont tenté, mardi, de manifester devant les bureaux du premier ministre pour dénoncer leurs conditions d’accueil et la durée de détention qui leur est imposée. À une dizaine de kilomètres de la capitale, La Valette, des policiers mais aussi des soldats les ont interceptés et ramenés manu militari vers leur centre de détention dont ils s’étaient échappés quelques heures auparavant. La presse maltaise a largement diffusé les images des affrontements qui ont émaillé l’épisode et fait officiellement « plusieurs blessés » dont cinq membres des forces de l’ordre. Le Times de La Valette décrit lui « une situation de tension extrême » et de véritables scènes de combats entre la police et certains immigrants munis de barre de fer ou de morceaux de bois.
Longtemps terre de pauvreté et d’émigration, le minuscule État maltais - 400 000 habitants sur un territoire de 27 kilomètres de long, 15 de large
- découvre depuis une décennie la question de l’immigration clandestine et de l’asile. L’adhésion à l’UE en mai 2004, a accéléré d’un coup le phénomène en faisant de l’île le point d’entrée en Europe le plus proche de la Libye, tout proche aussi de la Tunisie et de l’archipel sicilien de Lampedusa qui reste la cible préférée des embarcations de clandestins. En 2005, un peu plus de 1 800 clandestins sont arrivés à Malte ; pour le premier semestre 2006, ce chiffre est de 866 personnes. Mercredi encore, un bateau de 266 clandestins, surtout des Marocains et des Égyptiens, a débarqué à La Valette après avoir été repéré par l’armée : sa destination était Lampedusa, mais son moteur avait cassé.
D’autres candidats à l’émigration choisissent Malte parce qu’ils croient qu’il sera plus facile d’y débarquer qu’en Italie ou en Espagne, où les garde-frontières sont plus nombreux et mieux équipés.
À La Valette, les autorités publiques n’ont visiblement pas su prévoir ces flux et encore moins l’accueil des clandestins. Interrogé par l’hebdomadaire The Malta Independent, le ministre Tony Abela assure que la situation est aujourd’hui « sous contrôle » mais admet que « les arrivées récentes occupent un espace précieux qui était destiné à recevoir sur le long terme des demandeurs d’asile ». L’état d’exiguïté et d’insalubrité des structures d’accueil maltaises est, depuis plusieurs années, un sujet d’inquiétude pour le commissaire européen aux Droits de l’homme. Après un premier rapport catastrophique fin 2003, Alvaro Gil-Roblès a dressé en 2006 un état des lieux toujours inquiétant. Il y pointe la « surpopulation » et l’insalubrité » qui règnent dans la plupart des centres de détention, certains clandestins vivant dans des tentes et n’ayant pas un accès correct aux sanitaires.
Mais le point le plus inquiétant concerne la situation juridique des migrants. Jusqu’en 2003, la règle était « la mise en détention illimitée de tous les migrants irréguliers - y compris les familles avec enfants, qu’ils soient ou non demandeurs d’asile », notait alors le commissaire aux Droits de l’homme. Depuis, de légers progrès ont été enregistrés mais la nouvelle norme administrative fixe à douze mois ce délai de détention pour les demandeurs d’asile, et dix-huit pour les clandestins. Une période toujours considérée comme « excessive et inappropriée » par Alvaro Gil-Roblès. « Les demandeurs d’asile ou les étrangers irréguliers n’ont commis aucun crime et n’ont été jugés par aucun tribunal », insistait en début d’année le commissaire aux Droits de l’homme.

Paul Falzon