- Inscription auprès des consulats, encouragement à l’investissement au Maroc, facilitation des procédures administratives… Ce que fait le Maroc pour ses ressortissants à l’étranger.
- La ministre chargée des Marocains résidents à l’étranger fait le bilan et évoque les avancées mais également les problèmes.
Ils sont deux millions de MRE environ à venir passer leurs vacances au pays. Le nombre de retours définitifs n’est pas connu. Mais les pouvoirs publics tentent d’encourager les jeunes Marocains à revenir au pays pour y travailler ou investir. La ministre chargée des MRE, Nouzha Chekrouni, expose également ce que fait le Maroc pour ses ressortissants au niveau de leurs pays de résidence. Entretien.
La Vie éco : Pour commencer, les chiffres. Combien de Marocains vivent en dehors de leur pays aujourd’hui ?
Nouzha Chekrouni : Trois millions dont près de 90% sont en Europe. La France est en tête avec près d’un million, vient ensuite l’Espagne (550 000), l’Italie (500 000), la Hollande (350 000) et la Belgique (300 000). Les pays arabes en accueillent à eux seuls 300 000 dont 20 000 au moins en Libye.
Ce sont des statistiques définitives ?
Ces statistiques correspondent aux personnes qui sont inscrites auprès des consulats. Nous ne disposons pas de données concernant ceux qui ne sont pas inscrits. Généralement, ce sont des personnes naturalisées dans leur pays d’accueil qui les considèrent donc comme des Français, des Belges, des Allemands, etc. Alors que pour nous il s’agit de Marocains.
Y-a-t-il plus de MRE non répertoriés que de MRE inscrits aujourd’hui ?
Non. La majorité des Marocains résidant à l’étranger est inscrite sur les listes des consulats. Toutefois, il faut savoir aussi que nous avons facilité les procédures d’inscription, surtout après les naissances. Avant, la loi donnait un mois pour inscrire l’enfant. Passé ce délai, il fallait entamer une procédure au tribunal, ce qui faisait que beaucoup finissaient par abandonner. Nous avons donc apporté un changement, il y a environ deux ans, en étendant le délai d’inscription à un an. Au-delà de ce délai, il est permis aux MRE d’entamer des démarches auprès du tribunal de Rabat.
Combien de MRE rentrent au Maroc en été ?
Aujourd’hui, pour l’été bien sûr, à peu près deux millions de personnes viennent passer leurs vacances au Maroc. Il y a deux ans, nous avons mis en place, avec le ministère du Tourisme, un système de packages pour les jeunes Marocains résidant à l’étranger et qui comprend le billet d’avion, l’hôtel et la demi-pension. Ceci a permis à un grand nombre d’entre eux de rentrer au Maroc. Ils ont été répertoriés en tant que touristes, et il faut savoir qu’ils représentent au moins 40% des touristes qui se rendent au Maroc en été.
Combien de MRE rentrent définitivement au Maroc ?
Concernant ces autres retours, de plus en plus de jeunes s’intéressent à l’investissement, la création d’entreprises au Maroc. Vous pouvez le voir à travers la télévision avec des émissions comme Challenger mais aussi les récentes nominations de jeunes MRE à la tête des grandes entreprises marocaines. Ceci montre tout d’abord l’intérêt du Maroc pour sa communauté à l’étranger et, de plus en plus, les jeunes puisque, aujourd’hui, c’est une diaspora qui compte des compétences de très haut niveau. Je tiens d’ailleurs à signaler que vendredi 7 juillet, nous avons signé un protocole d’accord avec les différents partenaires, à savoir le PNUD, la CGEM, l’Anapec et le ministère de l’Intérieur, entrant dans le cadre de l’INDH. Cet accord concerne le lancement du Forum international des compétences marocaines à l’étranger (Fincom).
Ce dernier va bien sûr développer ce partenariat institutionnel entre les compétences et l’ensemble des secteurs aussi bien privés que publics ou associatifs. Par ailleurs, nous préparons un grand rassemblement pour la fin de cette année, en vue de réunir les compétences marocaines à l’étranger et initier des projets concrets.
Pour de tels projets, l’administration est un interlocuteur-clé, que faites-vous pour simplifier les choses aux MRE à ce niveau ?
Le ministère des MRE a pris des initiatives, parfois à titre individuel, parfois en collaboration avec le ministère de l’Habitat. Nous avons organisé des caravanes pour susciter l’intérêt des jeunes Marocains à venir investir. Celle de cette année a été particulièrement réussie. Elle a sillonné l’Europe et s’est faite avec la participation de responsables de l’administration, ce qui a permis à de jeunes entrepreneurs d’avoir en face d’eux des interlocuteurs concernés. Aujourd’hui de plus en plus de jeunes Marocains veulent investir parce qu’ils connaissent mieux les possibilités qu’offre le Maroc mais aussi parce que le pays vit une période de démocratisation ce qui devient un outil fondamental pour sécuriser l’investisseur, comme, par exemple, avec la réforme du code de travail. Certaines administrations comme Diwan Al Madhalim permettent déjà d’entamer les démarches voire de déposer des plaintes de l’étranger, via le net.
Qu’en est-il au niveau des autres ministères ?
Nous avons effectivement un programme E-government et un site très visité par les MRE qui est celui du ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger, www.marocainsdumonde.gov.ma. Nous recevons également des plaintes à travers ce site, par écrit ou par mail. De même, le ministère de la Justice vient de mettre en place un outil informatique très élaboré, et les Marocains à l’étranger peuvent avoir accès aux réponses concernant leurs requêtes ou dossiers en justice.
Sur le plan économique, quelles sont les mesures entreprises pour faciliter les choses aux MRE, notamment au niveau de l’investissement, du rapatriement de fonds, etc. ?
Nous avons initié un débat avec les banques et l’ensemble des intervenants du secteur financier. Le thème a été également abordé lors de la Conférence euro-africaine sur la migration qui s’est déroulée à Rabat et les 10 et 11 juillet. Parmi les mécanismes à mettre en place, il en faudrait pour que le transfert se fasse à un coût moindre, et pour mieux orienter les transferts, vers les secteurs productifs. Toutesfois, lorsque l’on parle de transferts, il ne faut pas oublier qu’il y a aussi le transfert du savoir, via le Fincom.
Qu’en est-il au niveaux social et culturel ?
On nous accuse souvent de ne pas avoir de stratégie, mais nous en avons une qui élargit les priorités, comme l’accès à l’éducation, l’enseignement linguistique, culturel et un encadrement religieux transparent. Bien sûr, il n’y a pas de recette, nous travaillons avec chaque pays d’accueil, dans le respect de sa souveraineté, et cela se fait dans le cadre d’un partenariat, une responsabilité partagée, renforcée par la coopération avec les ONG de la place. Ainsi, nous avons élaboré avec le ministère des Affaires islamiques et des Habous une stratégie concernant la gestion du culte qui, aujourd’hui, est entrain d’être mise en œuvre par voie des canaux diplomatiques nécessaires avec les personnes concernées. Par ailleurs, nous avons entrepris des actions pour l’enseignement de la langue arabe dans les pays d’accueil. Nous avons fait cela avec la France et l’Italie. Avec la Hollande, nous avons mis en place un groupe de travail pour étudier la question. Ainsi, nous avons des mécanismes de partenariat avec chacun des pays en fonction de ses spécificités. C’est un travail de logue haleine qui est toujours en cours. Par ailleurs, nous avons initié le plaidoyer pour la création de centres de culture mixtes avec les pays d’accueil. Nous venons aussi de signer le premier accord avec la Belgique. C’est un très bel édifice, un très beau projet, qui va justement véhiculer un message fort d’inter culturalité. Par contre, ce qui reste à faire c’est élaborer une véritable politique pour les trente ou cinquante années à venir, une politique de la migration dans toutes ses facettes, et c’est ce que le Maroc est aujourd’hui entrain de faire avec ses partenaires. Depuis que vous êtes en charge du département, vous avez beaucoup voyagé et rencontré de nombreux MRE à travers le monde.
Quels enseignements tirez-vous de vos discussions avec eux ?
Rien ne vaut le travail du terrain, parce que pour construire avec un partenariat, il faut d’abord instaurer la confiance. Quand nous avons annoncé un partenariat avec la société civile, c’était une volonté politique. Et pour concrétiser cette volonté, il faut que ces partenaires adhèrent à nos projets. Nous avons ainsi instauré un dialogue continu, difficile certes, car il y avait un véritable gap entre eux, les instances gouvernementales et les citoyens marocains. Aujourd’hui, je ne peux pas dire que nous avons réussi à 100% mais nous sommes à présent dans une logique d’échange. Les Marocains à l’étranger savent à présent qu’ils ont un interlocuteur. Ils peuvent ne pas être d’accord, mais ils peuvent le dire, et nous sommes prêts à les écouter parce que nous ne prétendons pas détenir la vérité. Toutefois, il s’agit d’un échange constructif qui m’a permis de connaître leurs ambitions, leurs attentes.
Depuis sa mise en place en 2002, comment le ministère a-t-il pu s’adapter aux doléances des MRE au fur et à mesure qu’il les découvrait ?
Sur la question des requêtes, je ne peux pas prétendre que nous réglons tous les problèmes, ce serait faux. Mais c’est ce que nous essayons de faire car les problèmes soumis à l’administration sont les mêmes que ceux que rencontrent les Marocains résidant au Maroc, donc c’est inhérent à la gestion de l’administration. Bien sûr, nous sommes là d’abord pour servir de filet, de relais pour orienter, parfois agir aussi auprès des différents départements ministériels et nous arrivons à régler certains problèmes. Bien sûr, il y a tout le travail qui se fait en interne, toutes les réformes initiées par Sa Majesté, par le gouvernement et qui justement ambitionnent de moderniser l’administration et c’est ce travail à long terme qui constituera une réponse radicale aux problèmes que l’on rencontre. Au niveau politique, l’on apprend que les MRE pourront désormais participer aux élections dans leur circonscription d’origine…Nous vivons aujourd’hui un processus évolutif. Nous avons bien sûr la feuille de route que sont les instructions de Sa Majesté que nous sommes entrain de mettre en œuvre. Ce qui est très important, c’est qu’il faudrait mettre en place un processus réaliste, démocratique, approprié, qui tiennent compte des intérêts de tout le monde et, avant tout, ceux des Marocains résidant à l’étranger. Il faut donc trouver la meilleur formule pour ne pas réitérer l’expérience précédente
[NDLR : l’échec des législatives 1984]. Nous essayons donc de nous inspirer des modèles déjà instaurés ailleurs. Maintenant, il reste bien sûr tout le travail qui se fait pour présenter des propositions à Sa Majesté sur le Conseil supérieur. Ce sera aussi une instance formidable d’échanges et de participation et une force de proposition, et je suis persuadée qu’il existe aujourd’hui une volonté d’aller encore plus loin. Nous sommes entrain d’explorer toutes ces possibilités pour nous ouvrir de plus en plus à nos compatriotes et à leur participation dans tous les domaines.
Peut-on s’attendre à la mise en place du Conseil supérieur de la Communauté marocaine à l’étranger avant 2007 ?
Nous l’espérons.
Et pour une participation totale aux législatives, peut-être pas en 2007 mais après ?
Tout est ouvert, je pense que, de l’intérieur du Conseil supérieur de la communauté marocaine à l’étranger, les MRE contribueront à l’élaboration des autres projets car ils vont devenir des acteurs actifs dans ce processus.
Propos recueillis par Houda Filali-AnsaryLa Vie économique