29 septembre 2006

Soutien aux migrants subsahariens au Maroc


Lettre ouverte adressée au gouvernement marocain, au Conseil consultatif des droits de l’homme marocain, au parlement européen, au bureau du Haut Commissariat aux Réfugiés à Rabat et au siège central du HCR.

A l’approche du triste anniversaire des dramatiques événements de Ceuta et Melilla qui avaient causé la mort, par balle, de près d’une quinzaine de personnes, et le refoulement vers des zones désertiques de centaines d’autres, la situation actuelle des migrants au Maroc est toujours alarmante.

Ces événements étaient pourtant un violent avertissement révélant les conséquences et les limites d’une approche uniquement sécuritaire des questions migratoires et des pressions européennes sur les pays tiers afin de contenir les migrants en Afrique et pousser les Etats voisins, comme le Maroc, à contrôler les frontières de l’Europe et à prendre en charge la protection des réfugiés et l’accueil des migrants en lieu et place des Etats membres de l’Union. Aujourd’hui, près d’un an après, les départs n’ont bien sûr pas diminué et les droits fondamentaux des migrants continuent d’être violés quotidiennement.

Au Maroc en particulier, les arrestations de migrants se poursuivent ainsi que les refoulements généralement vers Oujda, ville frontalière avec l’Algérie, mais aussi récemment vers la frontière désertique avec la Mauritanie. Au quotidien, les migrants tentent de survivre dans des conditions d’extrême précarité, y compris les réfugiés sous protection du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Bien que ces derniers bénéficient, en théorie, d’une protection internationale, ils subissent, en pratique, le même traitement que n’importe quel migrant. La procédure d’asile mise en place en 2005 par le bureau du HCR à Rabat n’apporte pas de réelle protection aux réfugiés qui ne bénéficient ni d’une protection juridique efficace ni d’aucun droit spécifique. Ils continuent, comme tous les autres migrants, a être arrêtés et refoulés au mépris de l’obligation de non-refoulement de la Convention de Genève, ils ne leur est remis aucun titre de séjour ni documents de voyage, ce qui les contraint à rester au Maroc sans pour autant y bénéficier d’un séjour régulier et donc sans pouvoir accéder à un travail, bénéficier d’un réel accès aux soins, suivre des études ou une formation, scolariser leurs enfants ou encore vivre en famille pour ceux dont conjoint(e) et enfants sont restés au pays. Ils ne bénéficient pas non plus d’une assistance sociale spécifique de la part du HCR et force est de constater qu’il n’existe pas de réelle protection des réfugiés et des demandeurs d’asile au Maroc. La procédure existante ne donne que l’illusion d’une protection et, loin de protéger réellement les personnes menacées dans leur pays, elle risque fort de ne servir uniquement d’alibi à l’Union européenne pour continuer à restreindre l’accès à son territoire.

Chaque jour, les actualités nous rapportent que des dizaines de femmes, d’hommes et d’enfants africains abordent les côtes canariennes. Les commentaires présentent ce phénomène comme une sorte de catastrophe et si parfois, les télévisions et les journaux s’attardent avec une apparente compassion sur la souffrance et la détresse de ces hommes et de ces femmes, et sur la mort que beaucoup rencontrent dans leur aventure désespérée, la plupart du temps ils nous parlent de cette migration comme d’une menace, à la fois économique et humaine, qui pèserait sur l’Europe. Nous avons rarement le sentiment d’entendre parler d’hommes et de femmes qui seraient nos égaux, nos semblables, du moins au terme de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Ce que ferait n’importe quel être humain en situation de détresse, de misère, de guerre, d’arbitraire, pourtant, ils le font : ils vont chercher ailleurs un peu d’espoir, un peu de paix, un peu d’avenir. Ce que ferait n’importe quel être humain menacé et réprimé à cause de cette quête, ils le font : ils s’organisent, ils s’associent, ils défendent leurs droits. C’est ainsi qu’au Maroc, beaucoup de migrants et plus particulièrement de réfugiés se sont organisés en communauté ou en association, à l’image du Conseil des migrants subsahariens, une des premières associations de migrants créée en novembre 2005 au Maroc. Ces associations et groupes tentent, en étroite collaboration avec des associations marocaines et européennes, et à travers un combat pacifique et démocratique, de faire valoir leurs droits d’êtres humains qui leurs sont garantis par les conventions internationales et les conventions spécifiques sur les réfugiés ou les migrations.

Récemment, cette action de conviction et de débat a connu des développements : depuis le 20 juin dernier, les associations et les différentes communautés de réfugiés se sont mobilisées solidairement afin de faire valoir leurs droits auprès du HCR. Cette mobilisation a pris la forme de négociations collectives avec les représentants du HCR et de sit-in, dont un a duré plusieurs jours, devant les locaux de l’institution.

Les associations et communautés de migrants et réfugiés ont également pris une part active à la Conférence non-gouvernementale euro-africaine organisée au Maroc par différentes associations du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’Europe, les 30 juin et 1er juillet derniers, dix jours avant la conférence ministérielle euro-africaine à Rabat. Les militants, y compris certains migrants et réfugiés, ont participé à deux sit-in, médiatisés, organisés à Rabat, l’un en conclusion de la conférence non-gouvernementale, le second lors de la conférence gouvernementale. A travers ces différentes actions, la communauté migrante et réfugiée au Maroc est apparue publiquement et a montré ses capacités de mobilisation commune, sa détermination et sa volonté de débattre, de discuter, d’argumenter au sujet de sa situation. Un certain nombre de médias européens mais aussi marocains, lui ont fait écho. Ses membres ont, à cette occasion, été photographiés par de nombreux journalistes, mais aussi des membres de la police.

Certains responsables des associations de migrants et réfugiés font depuis l’objet d’intimidations. Actuellement, quatre membres dirigeants du Conseil des Migrants subsahariens au Maroc, font l’objet d’une attention particulière des forces de l’ordre marocaines, qui les menacent d’arrestation et d’expulsion à tout moment, au mépris du statut de réfugiés que trois d’entre eux ont obtenu, et que le quatrième est en passe d’obtenir. L’un d’entre eux, AK. a été arrêté à deux reprises, le 18 juillet et le 9 août 2006. La première arrestation a eu lieu à Rabat, avec trois autres personnes qui ont été immédiatement libérées. AK. a été interrogé dans les locaux de police du 8ème Arrondissement pour qu’il livre les noms et les adresses des autres responsables du Conseil et a été menacé d’expulsion en relation explicite avec ses activités de défense des droits des migrants. Lors de sa deuxième arrestation, il a été tabassé parce qu’il refusait de reconnaître ses amis du Conseil sur des photos où ils figuraient. Il a été expulsé vers la frontière algérienne, à Oujda, où on l’a menacé de déportation dans le désert, et même de mort, lui et ses compagnons du Conseil.

Le ministère de la Justice, saisi récemment par l’AMDH (association marocaine des droits humains) de cette situation, a indiqué dans une réponse écrite à l’association que les quatre hommes mentionnés faisaient l’objet de recherches en raison de leur entrée irrégulière sur le territoire marocain. Pourtant, ces quatre personnes reconnues réfugiés ou demandeurs d’asile, ne peuvent se voir reprocher leur entrée irrégulière sur le territoire marocain en vertu de l’article 31 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, ratifié par le Maroc, et ne peuvent non plus, en vertu de la même Convention et de la législation en vigueur au Maroc, être expulsés.

D'autres témoignages rapportent des événements du même ordre à l'encontre d'autres représentants d'associations. L'ensemble de ces faits et en particulier la réponse écrite du ministère de la Justice, laissent craindre que tout migrant et réfugié tentant de se mobiliser pour le respect de ses droits ne fasse l'objet d'intimidation et montrent que le statut de réfugié ne leur accorde pas de réelle protection.
Nous, citoyens marocains et européens soucieux des valeurs de démocratie, de droit, d’humanité, nous sommes à leurs côtés, comme aux côtés de l’ensemble des migrants et parmi eux, de ceux qui œuvrent pour le respect de leurs droits, et nous le serons encore et encore. Nous rappelons les recommandations du Manifeste non gouvernemental euro-africain sur les migrations et demandons plus particulièrement dans ce contexte le respect des recommandations suivantes :
- Le renoncement à l’idéologie sécuritaire et répressive qui oriente aujourd’hui les politiques migratoires, notamment à l’ « externalisation » de l’asile et des contrôles aux frontières, à la criminalisation des migrations ainsi qu’à toute loi raciste, xénophobe ou discriminatoire ;
- La refondation des politiques migratoires sur la base du respect des droits humains, d’une réelle égalité des droits des personnes vivant sur un même territoire et, dans l’immédiat, de la régularisation de tous les migrants sans papiers,
- La dépénalisation du délit de séjour irrégulière et de l’aide aux personnes contraintes à ce type de séjour,
- L’abolition de toutes les mesures faisant obstacle aux possibilités de regroupement familial,
- L’application complète et sincère de tous les instruments de protection internationale afin de ne pas réduire le droit d’asile à une simple fiction,
- L’octroi systématique à tous les réfugiés statutaires d’une complète liberté de circulation et d’installation et d’une protection à travers le monde,
- La refondation financière et juridique du HCR de manière à ce qu’il protège effectivement les demandeurs d’asile et réfugiés et non pas les intérêts des gouvernements qui le financent,
- La ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, son intégration dans les lois nationales, la ratification des conventions de l’Organisation internationale du Travail, et notamment les conventions 143 et 97 ainsi que leur mise en œuvre.

Nous demandons d’autre part instamment, et nous annonçons une vigilance sans faille à ce propos, que les droits des quatre responsables du Conseil des Migrants ainsi que de tout autre militant pour la défense des droits des migrants et des réfugiés, soient intégralement respectés, et que les menaces et représailles contre eux, parce qu’ils s’expriment et se défendent pacifiquement et avec des outils démocratiques, soient immédiatement interrompues.
Bruxelles, Rabat, septembre 2006

Premières signatures :
Conseil des Migrants subsahariens du Maroc, Coordination SOS Migrants Bruxelles, Association Marocaine pour la Défense des droits Humains, ATTAC Maroc, Aide aux Familles et Victimes des Migrations clandestines Cameroun, Khouya Mhamed – UMT Maroc, Mohamed Elwafi – syndicaliste Casablanca Maroc, Abdelhamid Haimeur – Association des Amis du Monde Diplomatique Maroc, Réseau associatif Chabaka Maroc, Association Marocaine des Droits humains (AMDH) Tanger, Forum méditerranéen des droits de l’Homme Maroc, Las Pateras de la Vida Maroc, Rachid Barghouti - responsable associatif Bruxelles, Association «Interpôle – Le Chant des Rues » Bruxelles, Aziz Mkichri - responsable associatif Bruxelles, François Harray - écrivain, Patrick Lowie- écrivain et Hassan Charach – graphiste - Editions Biliki Bruxelles, Union pour la DEfense des sans Papiers Belgique, Coordination nationale des Sans papiers de France, Associacion de Trabaradores Immigrantes en España, Nadia El Yousfi, députée PS Bruxelles, Souhail Chichah – chercheur en économie à l’ULB Bruxelles, Joëlle Baumerder – Maison du Livre Bruxelles, Mehdi Lahlou - enseignant et chercheur - membre du bureau du PSU Maroc, Sylvie Terschueren - Comité de préparation de la Conférence non gouvernementale euro-africaine Belgique, Abdou Mekkaoui – animateur culturel – Musika Mad in Brussels, Mohamed Belmaïzi – écrivain et militant des droits de l’homme Bruxelles, Coordination des Migrants de Malaga Espagne, Indymédia Estrecho Espagne, Monica Toledo Martin Séville Espagne, Eduardo Serrano Muñoz Espagne, Collectif zapatiste de Séville Espagne, David Giannoni – responsable « Espaces de Parole Sans-Abri » Bruxelles, Editions Maelström Bruxelles, Association « Aïcha » – tutorat et encadrement socioculturel des migrants mineurs non accompagnés Bruxelles, Céline Delforge – députée Ecolo Bruxelles, Compagnie théâtrale « Les Voyageurs sans bagages » Bruxelles, Collectif zapatiste de Séville Espagne, Amanda Romero Morillo – avocate Espagne, Collectif bolivarien de Cordoba Espagne, Conseil général des Africains de Belgique – MOJA, Coordination contre les Rafles et les Expulsions Belgique, Juan Manuel Nuñez Contreras Espagne, Luis M. Escobar Pozuelo Espagne, Mustapha Bentaleb – responsable associatif Bruxelles, Association Jeunesse Maghrébine Belgique, Auxiliadora Jiménez León Grenade Espagne, Angel Luis Garcia – Secrétaire permanent du Comité fédéral de la CGT Espagne, Fransisco Pérez Sānchez Cadix Espagne, Juana Moreno Nieto Espagne, Association culturelle « Joseph Jacquemotte » Belgique, Myriem Khrouz Rabat Maroc, Alain Morice – chercheur France, Placide Nzeza – Association des Migrants Africains Suède, Mehdi Alioua – doctorant en sociologie Université de Toulouse France, Nicole Mayer – sociologue ULB Bruxelles, Caroline Laurent – Fami-Home, , Patricia Corral Moirān Espagne Cadix Espagne, Bea Diallo – député PS Bruxelles, , Luc Malghem – auteur – membre du Mouvement contre le Racisme l’Antisémitisme et la Xénophobie Belgique, Association de Défense des Droits de l’Homme Maroc, GISTI France, CIMADE France, Reporters Sans Limites Maroc, Association générale des Recherches et des Etudes Stratégiques et Informatiques sur l’Observatoire Sociétaire et l’Intervention Humanitaire – membre Mouvement Baraka Maroc, Association Convergence des Causes Maroc, Jamal Ryane – président de la Plate Forme Intercontinentale des MRE Amsterdam Pays Bas, Mustapha Elouizi Maroc, Mohamed El Baki – syndicaliste et responsable associatif Maroc, Brahim Derawi-Journaliste-Nieuwgein-Hollande …

Contact :
Serge Noël - 0032 486 85 73 81 - serge_noel1@hotmail.com