Nostalgie, opportunisme économique, désillusion parfois, mais surtout attachement profond aux racines, telles sont les motivations du retour définitif des MRE dans leur pays. Le phénomène est nouveau mais a déjà un label : la rémigration.
Une petite villa sur l’artère principale de Berkane. Dans ce coin reculé de l’Oriental, les statistiques deviennent réalité. Selon une étude de la Fondation Hassan II pour les MRE, publiée l’année dernière, les deux tiers des Marocains vivant à l’étranger désirent retourner dans leur pays natal après la retraite. On le croit volontiers quand on voit la salle d’attente bondée de la Fondation d’aide aux rémigrés (SSR en version néerlandaise). Strictement isolés les uns des autres, des hommes et des femmes ayant vécu aux Pays-Bas, attendent leur tour, les uns dans une salle, les autres sur des sièges dans le corridor. Ils sont tous là pour résoudre des problèmes administratifs grâce à l’aide de juristes néerlandais, payés par le gouvernement et d’une ONG du même pays !
Une retraite au soleil
Mohamed Figuigui fait partie des “clients” du SSR. Né en 1945 à Aroui, dans la région de Nador, il a émigré aux Pays-Bas, comme beaucoup d’autres Rifains dans les années 70. De la cueillette des tomates, il est passé au nettoyage, puis il a pu gravir les échelons et devenir assistant social pour ses concitoyens vivant à Utrecht. Vingt ans d’émigration et jamais l’idée de revenir au bled n’a quitté son esprit. “Personne ne peut dire : je ne rentrerai jamais. Le pays attire toujours, c’est l’appel du passé”, confie-t-il. La terre d’accueil ne l’a pas ménagé, il est passé par un divorce et une période d’alcoolisme. En 1992, de retour au Maroc, il s’est remarié et a arrêté de boire. Certes, il se sent mieux mais il regarde tout de même les Pays-Bas avec nostalgie : “Les canaux, les rues, les amis... j’ai tant de bons souvenirs. Il y avait beaucoup de travail mais aussi beaucoup de tolérance”, se souvient-il.
Des rémigrés à la retraite, Mohamed Sayem en voit passer des centaines toutes les semaines dans son bureau au SSR. “Quand les Marocains ont quitté le pays pour l’Europe dans les années 60 et 70, ils avaient un rêve commun : gagner de l’argent puis revenir là où ils sont nés et y passer leurs vieux jours. Une retraite paisible au Maroc, c’était cela leur idée”, affirme-t-il. A travers de longs entretiens avec eux, il a constaté qu’ils parlent souvent en bien de leur pays d’origine, louant le sens de l’hospitalité et la sécurité ambiants. “Ils sont fiers d’avoir vécu à l’étranger mais les temps ont changé... Les rémigrés n’arrivent pas à comprendre pourquoi aujourd’hui on leur mène la vie dure quand ils reviennent en vacances ou en visite dans leur pays d’accueil”. Et c’est d’autant plus difficile pour eux quand leurs enfants vivent en Europe. “Dans un sens, ils vivent entre deux mondes”, ajoute M. Sayem.
Les plus jeunes aussi
Le siège très chic de la banque Al Amal, sis au boulevard Zerktouni, à Casablanca, semble lui aussi, appartenir à un monde bien différent du modeste bureau du SSR à Berkane. Canapés Chesterfield en cuir noir et tables de conférence rutilantes suggèrent une clientèle qui a réussi. Une clientèle de MRE, en fait, qui désire investir au Maroc et autour de laquelle la banque s’empresse, dispensant conseil et appui financier. Douma Allal est là précisément pour cela, convaincre la banque de l’aider à créer un hôpital à Khouribga, où il est né en 1956. Pendant plus de 10 ans, l’homme a vécu et travaillé en France, jusqu’à ce que le destin en décide autrement. En 1992, sur l’autoroute entre Malaga et Algésiras, un grave accident de voiture stoppe net son retour vers le Maroc. “J’ai frôlé la mort”, explique Allal. “Cet accident m’a coûté un an de ma vie que j’ai passé sur un lit d’hôpital. Cela m’a donné le temps de réfléchir et je suis arrivé à une conclusion : si je dois mourir, je préfère être chez moi, dans mon propre pays”.
Décision prise, Allal s’installe au Maroc et investit son argent dans un supermarché. L’activité prospère et le voilà qui en lance un deuxième, et cetera. Pourtant, il n’a toujours pas oublié son long séjour à l’hôpital. “C’est ainsi que l’idée m’est venue d’en créer un dans ma ville natale. Une manière d’améliorer le sort de mes concitoyens”, confie-t-il. Une manière aussi, pour l’homme d’affaires en herbe, de s’assurer des revenus. “Je suis très content de ma décision, ajoute Allal, au Maroc, plusieurs secteurs sont encore vierges, ce qui présente beaucoup d’opportunités. Vraiment, je n’ai jamais regretté d’être rentré. J’aime mon pays”.
Ce n’est pas le directeur de la banque qui va le contredire. Pour Faïçal Lahlou, les rémigrés fortunés constituent la cible de son entreprise. “Leurs motivations sont différentes, explique-t-il. Certains rentrent car ils sont attachés à leur pays, d’autres veulent être leur propre patron. Enfin, il y a ceux qui veulent améliorer leur standing socio-économique”. Il conclut : “La quasi-totalité des MRE qui reviennent pour investir restent définitivement ici. D’ailleurs, ces retours sont en augmentation visible, en quantité et en qualité. On remarque aussi un rajeunissement des rémigrés, ils semblent avoir retrouvé confiance en le pays”.
Nabil Rami, 34 ans, fait partie de cette génération de jeunes entrepreneurs qui se sont laissé séduire par les attraits du royaume et sont venus tenter leur chance ici. Le genre de profil auquel pensait peut-être le patron de la société Manpower quand il devisait, sur Jeune Afrique, à propos du “retour des cerveaux”, phénomène nouveau au Maroc. En tout cas, Rami est à la tête d’une start up qui ne détonnerait pas à Silicon Valley. ’Orzone’ est spécialisée dans les animations virtuelles, un business où la matière grise est de rigueur. Quoi qu’en pense F. Lahlou, ce n’est pas la confiance qui a poussé le jeune Rami à rentrer. Du moins n’est-elle pas la principale raison.
Quand le 11 septembre 2001, deux avions percutent et détruisent les tours jumelles du World Trade Center, Nabil est dans son bureau, au siège de la société qui l’emploie à l’époque, en Floride. Il dessine le nec plus ultra des simulateurs militaires pour l’armée américaine. Depuis ce jour-là, il sent que les gens le regardaient différemment. “Mon meilleur ami était un peu ’redneck’ sur les bords (paysan). Après le 11 septembre, il m’a appelé pour me demander si c’est vrai que l’islam nous enseigne ‘ça’”, se souvient-il.
De plus en plus, les projets sur lesquels travaille Nabil sont mis en stand by. Les nouveaux ne sont plus présentés sous son nom. Avoir un background marocain n’est pas exactement un argument commercial dans l’Amérique de l’après 11 septembre. Mais Nabil est compréhensif : “Le premier Marocain dont l’Américain moyen a entendu parler est Zakaria Moussaoui. Forcément, je n’en veux pas aux gens de me regarder avec méfiance. C’est un sentiment général et, somme toute, prévisible”. Philosophe, le jeune businessman renchérit : “Si demain un Algérien fait exploser le Twin Center à Casa, ses compatriotes au Maroc vont passer un mauvais quart d’heure, croyez-moi”.
Même en relativisant beaucoup, Nabil n’a pu s’empêcher de se demander s’il y a encore un avenir pour lui et sa famille en Floride. Pas seulement sur le plan professionnel. “Déjà, je n’étais pas sûr de vouloir que ma fille grandisse aux Etats-Unis. Et puis, mon frère et ma soeur sont partis... je crois que l’émotion l’a emporté sur la raison”, avoue-t-il. Un an après les événements de New York, sa femme et lui quittent l’Amérique. Au Maroc, le couple découvre une réalité qui n’est pas simple non plus. “S’il m’a fallu une heure pour me mettre au diapason des USA, j’ai mis deux ans pour me réadapter à mon propre pays !”, soupire N. Rami. Le jeune homme est surtout atterré par la manière de faire les affaires ici, la corruption généralisée... Difficile de ne pas comparer ces deux univers. “J’ai appris aux Etats-Unis que si on est compétent et qu’on travaille dur, on réussit. Ici, il faut surtout avoir des amis haut-placés. Je n’ai pas ce genre de relations et je ne veux pas en avoir !”, s’indigne-t-il.
La déception est visible dans ses yeux. Bien que son business soit en train de grandir, Nabil n’exclut pas un retour aux USA. Et l’effet post 11 septembre ? Le jeune marocain préfère se souvenir de l’Amérique d’il y a 10 ans, celle où il n’a jamais fait l’expérience du racisme. Pour autant, il ne regrette pas d’être venu au Maroc. “Si c’était à refaire, peut-être, le referais-je. Mais, cette fois-ci, j’y penserais un peu plus longtemps”, précise-t-il. Il a une raison de plus d’y penser... sa sœur vient d’épouser un maroco-américain et de se réinstaller au pays de l’Oncle Sam. Une “re-rémigrée”, serait-ce le début d’un nouveau phénomène ?
Bart Schut - Tel Quel