Forte de plus de 6 millions de fidèles, la communauté musulmane de France est l’une des plus importantes d’Europe. L’islam est désormais la deuxième religion de France après le catholicisme. Au fil des ans, cette religion est devenue suffisamment implantée dans l’Hexagone, au point que l’on commence à parler d’un islam de France. Selon des sondages récents, les « musulmans de France » seraient plus de 88% à observer le jeûne. Le Ramadan attire donc de plus en plus d’adeptes.
Plus qu’un rituel, plus qu’un pilier de l’islam, le Ramadan est devenu un repère, voire un marqueur identitaire de l’appartenance à la communauté musulmane en France. La diversité des origines ethniques et des courants musulmans représentés fait de l’islam une religion plurielle en Europe.
Et c’est ce mois sacré en particulier qui reflète le poids de l’islam dans l’Hexagone. Selon Malek Chebel, anthropologue et auteur de nombreux ouvrages sur l’islam, le regain d’intérêt pour le Ramadan en France est « un phénomène de société que nous observons depuis une quinzaine d’années ».
Parallèlement à cette tendance, le nombre des lieux de culte musulmans augmente, mais les minarets restent encore discrets. L’Hexagone compte près de 1.700 lieux de culte musulmans et 70 projets de mosquées. Les églises, elles, sont au nombre de 39.000. Des mosquées non répertoriées existent aussi. Ce sont généralement des salles de prière de petite capacité, dans des hangars désaffectés, des garages, des appartements…
Les mosquées sont plus sollicitées pendant le Ramadan. Une délégation de 73 prédicateurs marocains s’est rendue dans l’Hexagone cette année. Objectif : encadrer les MRE durant le mois sacré. La Grande mosquée de Paris revêt un caractère particulier durant Ramadan. On y accomplit les Taraouihs, en plus des prêches et des conférences qui s’y tiennent. La première semaine du mois sacré, Nicolas Sarkozy, ministre français de l’Intérieur, chargé des Cultes, a effectué une visite à la Grande mosquée de Paris, où il a partagé le f’tour avec les représentants du Conseil du culte musulman.
Une visite symbolique mais qui prend une dimension et une signification toute particulière dans le contexte international. Les polémiques et prises de position contre l’islam prennent des tournures inquiétantes ces derniers mois (caricatures du Prophète, déclarations du Pape Benoît XVI, tribune virulente du professeur de philosophie Robert Redeker…) Les exemples ne manquent pas. Ce type de polémique prend un ton plus sérieux et les susceptibilités s’exacerbent pendant le mois sacré. Mois de privations et de dévotion, Ramadan est également une période de fêtes et de profusion dans les banlieues de Paris, les HLM et autres quartiers populaires tel Barbès. Certaines zones dans les banlieues, prennent des allures de vieilles médinas du Maroc. Au quartier Barbès par exemple, toute l’ambiance du mois sacré y est. Les ingrédients des copieux repas du soir y sont également commercialisés. Les épiceries regorgent de fruits secs, épices dattes, miel, lait caillé, figues… On y trouve un peu de tout. Non loin, des crêpes « aux mille trous », aux rghaïfs… à même le trottoir près de la station de métro. Les pâtisseries orientales ont à leur tour ravivé leurs étalages avec des délices sucrés et colorés. La grande distribution n’est pas en reste. Elle s’adapte aussi à la circonstance.
Des rayons de produits halal respectueux des préceptes islamiques sont aménagés : charcuterie, poulets, agneaux etc. s’y vendent. Ce marché, resté longtemps marginal, est désormais estimé entre 1,5 et 3 milliards d’euros et croît d’environ 15% chaque année. A Barbès toujours, des marchands de tissus et de babouches, d’origine maghrébine (algériens et marocaine surtout) exposent des tuniques traditionnelles, des tissus de djellabas, calottes, tapis pour la prière, chapelets, encens, notamment. Les costumes traditionnels des pays d’origine ont la cote à Rochechouart. Non loin, La Goutte-d’or, le quartier le plus cosmopolite de Paris, est en fête. Un quartier où se côtoient Maghrébins, Subsahariens et Français de souche. Là encore, le quartier devient plus coloré et animé. Les tuniques criardes sénégalaises, maliennes ou encore guinéennes sortent des placards. Les soirées sont plus longues dans les quartiers à forte concentration de population de confession musulmane. Mais pas seulement. La Bastille, Montparnasse, Saint-Michel… en plein centre de Paris comme à Marseille, Bordeaux, Lille ou encore Lyon, des cafés et restaurants concoctent une animation spéciale. Cela va des soirées chicha aux animations à concept d’« Oriental Feeling ».
Des soirées thématiques sont souvent organisées : soirées turque, libanaise, marocaine, tunisienne, sénégalaise, algérienne… Des centres culturels et salles de spectacle affichent une programmation spéciale adaptée à l’ambiance ramadanesque. De belles nuits au parfum d’Orient qui sont devenues un rendez-vous annuel, un business lucratif pour les uns, une activité culturelle pour les autres. Et c’est le cas à l’Institut des cultures musulmanes, à l’Olympic Café et au Lavoir moderne parisien où se tient cette année le festival Les Belles nuits du Ramadan. Un événement haut en couleurs. Au programme cette année, des expositions de calligraphie, des conférences sur le sens du Ramadan, des débats littéraires, de la musique flamenco et de la danse… Autrefois confinées dans le cadre familial ou dans l’intimité communautaire, les soirées de Ramadan sont de plus en plus relayées par les municipalités, les mairies et autres associations de quartiers. Elles sont nombreuses à organiser des « nuits de Ramadan » ouvertes à tous.
Dans le même esprit, la Ville de Casablanca a été l’invitée d’honneur de la grande soirée musicale et festive organisée, ce mois-ci au Stade Charléty par la mairie de Paris. « Une manifestation qui va à l’encontre des clichés habituels, des quiproquos et autres amalgames à propos de la coexistence entre les différentes civilisations et cultures », avait déclaré le maire de Paris, Bertrand Delanoë. D’ailleurs, l’élu socialiste a pris l’habitude depuis 2001 d’organiser une soirée Ramadan dans les salons de l’hôtel de Ville. Des rencontres qui réunissent non seulement des des personnes de confession musulmane mais également des représentants d’autres religions et de la société civile. Une approche du Ramadan laïque au confluent des cultures. Mais aussi une manière de montrer aux musulmans locaux qu’ils bénéficient des mêmes droits et devoirs que les autres Parisiens, soutient la mairie de Paris. La table du ftour en France diffère d’une communauté à l’autre. Normal : la diversité des origines ethniques et des courants musulmans fait que chacun a ses propres habitudes. Mais généralement, ce sont la soupe, le café au lait, les dattes et les rafraîchissements qui sont au menu. Pour les certains, un simple sandwich halal suffit. Si ce n’est la merguez, c’est le chawarma.
Des f’tours collectifs comme « Chorba pour tous » sont organisés dans quelques quartiers parisiens. C’est ouvert à tout le monde, aux démunis surtout. Les bénéficiaires viennent avant le coucher du soleil avec un sac plastique à la main pour emporter leur portion. D’autres préfèrent s’installer derrière les longues tables où les attendent des plateaux avec, pour chacun, trois dattes, un verre de lait caillé, un yaourt, une bouteille d’eau, un gâteau et du pain. Les Chibani de France (d’anciens combattants maghrébins et sénégalais, dont le film « Indigènes » évoque le passé), qui y résident pour percevoir leur pension, bénéficient aussi de ce f’tour.
Amin Rboub - L’Economiste
Plus qu’un rituel, plus qu’un pilier de l’islam, le Ramadan est devenu un repère, voire un marqueur identitaire de l’appartenance à la communauté musulmane en France. La diversité des origines ethniques et des courants musulmans représentés fait de l’islam une religion plurielle en Europe.
Et c’est ce mois sacré en particulier qui reflète le poids de l’islam dans l’Hexagone. Selon Malek Chebel, anthropologue et auteur de nombreux ouvrages sur l’islam, le regain d’intérêt pour le Ramadan en France est « un phénomène de société que nous observons depuis une quinzaine d’années ».
Parallèlement à cette tendance, le nombre des lieux de culte musulmans augmente, mais les minarets restent encore discrets. L’Hexagone compte près de 1.700 lieux de culte musulmans et 70 projets de mosquées. Les églises, elles, sont au nombre de 39.000. Des mosquées non répertoriées existent aussi. Ce sont généralement des salles de prière de petite capacité, dans des hangars désaffectés, des garages, des appartements…
Les mosquées sont plus sollicitées pendant le Ramadan. Une délégation de 73 prédicateurs marocains s’est rendue dans l’Hexagone cette année. Objectif : encadrer les MRE durant le mois sacré. La Grande mosquée de Paris revêt un caractère particulier durant Ramadan. On y accomplit les Taraouihs, en plus des prêches et des conférences qui s’y tiennent. La première semaine du mois sacré, Nicolas Sarkozy, ministre français de l’Intérieur, chargé des Cultes, a effectué une visite à la Grande mosquée de Paris, où il a partagé le f’tour avec les représentants du Conseil du culte musulman.
Une visite symbolique mais qui prend une dimension et une signification toute particulière dans le contexte international. Les polémiques et prises de position contre l’islam prennent des tournures inquiétantes ces derniers mois (caricatures du Prophète, déclarations du Pape Benoît XVI, tribune virulente du professeur de philosophie Robert Redeker…) Les exemples ne manquent pas. Ce type de polémique prend un ton plus sérieux et les susceptibilités s’exacerbent pendant le mois sacré. Mois de privations et de dévotion, Ramadan est également une période de fêtes et de profusion dans les banlieues de Paris, les HLM et autres quartiers populaires tel Barbès. Certaines zones dans les banlieues, prennent des allures de vieilles médinas du Maroc. Au quartier Barbès par exemple, toute l’ambiance du mois sacré y est. Les ingrédients des copieux repas du soir y sont également commercialisés. Les épiceries regorgent de fruits secs, épices dattes, miel, lait caillé, figues… On y trouve un peu de tout. Non loin, des crêpes « aux mille trous », aux rghaïfs… à même le trottoir près de la station de métro. Les pâtisseries orientales ont à leur tour ravivé leurs étalages avec des délices sucrés et colorés. La grande distribution n’est pas en reste. Elle s’adapte aussi à la circonstance.
Des rayons de produits halal respectueux des préceptes islamiques sont aménagés : charcuterie, poulets, agneaux etc. s’y vendent. Ce marché, resté longtemps marginal, est désormais estimé entre 1,5 et 3 milliards d’euros et croît d’environ 15% chaque année. A Barbès toujours, des marchands de tissus et de babouches, d’origine maghrébine (algériens et marocaine surtout) exposent des tuniques traditionnelles, des tissus de djellabas, calottes, tapis pour la prière, chapelets, encens, notamment. Les costumes traditionnels des pays d’origine ont la cote à Rochechouart. Non loin, La Goutte-d’or, le quartier le plus cosmopolite de Paris, est en fête. Un quartier où se côtoient Maghrébins, Subsahariens et Français de souche. Là encore, le quartier devient plus coloré et animé. Les tuniques criardes sénégalaises, maliennes ou encore guinéennes sortent des placards. Les soirées sont plus longues dans les quartiers à forte concentration de population de confession musulmane. Mais pas seulement. La Bastille, Montparnasse, Saint-Michel… en plein centre de Paris comme à Marseille, Bordeaux, Lille ou encore Lyon, des cafés et restaurants concoctent une animation spéciale. Cela va des soirées chicha aux animations à concept d’« Oriental Feeling ».
Des soirées thématiques sont souvent organisées : soirées turque, libanaise, marocaine, tunisienne, sénégalaise, algérienne… Des centres culturels et salles de spectacle affichent une programmation spéciale adaptée à l’ambiance ramadanesque. De belles nuits au parfum d’Orient qui sont devenues un rendez-vous annuel, un business lucratif pour les uns, une activité culturelle pour les autres. Et c’est le cas à l’Institut des cultures musulmanes, à l’Olympic Café et au Lavoir moderne parisien où se tient cette année le festival Les Belles nuits du Ramadan. Un événement haut en couleurs. Au programme cette année, des expositions de calligraphie, des conférences sur le sens du Ramadan, des débats littéraires, de la musique flamenco et de la danse… Autrefois confinées dans le cadre familial ou dans l’intimité communautaire, les soirées de Ramadan sont de plus en plus relayées par les municipalités, les mairies et autres associations de quartiers. Elles sont nombreuses à organiser des « nuits de Ramadan » ouvertes à tous.
Dans le même esprit, la Ville de Casablanca a été l’invitée d’honneur de la grande soirée musicale et festive organisée, ce mois-ci au Stade Charléty par la mairie de Paris. « Une manifestation qui va à l’encontre des clichés habituels, des quiproquos et autres amalgames à propos de la coexistence entre les différentes civilisations et cultures », avait déclaré le maire de Paris, Bertrand Delanoë. D’ailleurs, l’élu socialiste a pris l’habitude depuis 2001 d’organiser une soirée Ramadan dans les salons de l’hôtel de Ville. Des rencontres qui réunissent non seulement des des personnes de confession musulmane mais également des représentants d’autres religions et de la société civile. Une approche du Ramadan laïque au confluent des cultures. Mais aussi une manière de montrer aux musulmans locaux qu’ils bénéficient des mêmes droits et devoirs que les autres Parisiens, soutient la mairie de Paris. La table du ftour en France diffère d’une communauté à l’autre. Normal : la diversité des origines ethniques et des courants musulmans fait que chacun a ses propres habitudes. Mais généralement, ce sont la soupe, le café au lait, les dattes et les rafraîchissements qui sont au menu. Pour les certains, un simple sandwich halal suffit. Si ce n’est la merguez, c’est le chawarma.
Des f’tours collectifs comme « Chorba pour tous » sont organisés dans quelques quartiers parisiens. C’est ouvert à tout le monde, aux démunis surtout. Les bénéficiaires viennent avant le coucher du soleil avec un sac plastique à la main pour emporter leur portion. D’autres préfèrent s’installer derrière les longues tables où les attendent des plateaux avec, pour chacun, trois dattes, un verre de lait caillé, un yaourt, une bouteille d’eau, un gâteau et du pain. Les Chibani de France (d’anciens combattants maghrébins et sénégalais, dont le film « Indigènes » évoque le passé), qui y résident pour percevoir leur pension, bénéficient aussi de ce f’tour.
Amin Rboub - L’Economiste