21 juin 2006

" Le droit à la terre, facteur de paix et de développement durable "


Conférence internationale sur la problématique de la terre et des ressources naturelles
dans les pays de Tamazgha
3-4 juin 2006, M’rirt, Atlas, Maroc
" Le droit à la terre, facteur de paix et de développement durable "

Le Congrès Mondial Amazigh, en collaboration avec l’association Ighboula de M’rirt, a organisé les 3 et 4 juin 2006 à M’rirt, une conférence internationale sur la problématique de la terre et des ressources naturelles en Tamazgha, et précisément sur le thème du "droit à la terre, facteur de paix et de développement durable".
La rencontre a été suivie par plus de 400 participants venus des Canaries, de la Libye (Nefussa), des différentes régions du Maroc (Rif, Atlas, Souss, Tamesna, Sais, Zemmour, Demnat, Marrakech…) et a été marquée par la présence d’une forte délégation des Nations Unies composée de :
Erica-Irene A. DAES (Rapporteur Spécial des Nations Unies pour les droits des Peuples Autochtones),
Trisha RIEDY (Coordonnatrice du Programme pour l’établissement de la paix et de la diplomatie préventive, Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche (UNITAR),
Samia SLIMANE (Human Rights Officer, Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme),
Hassan ID BELKASSM (Membre du Forum Permanent des Nations Unies pour les Peuples Autochtones),
Le Président du CMA a ouvert la conférence en souhaitant la bienvenue à toutes les délégations, particulièrement à celles qui ont fait le déplacement depuis les lointaines régions de Tamazgha (Libye, Canaries). Il a également remercié chaleureusement les intervenant-e-s de la conférence, M. Barchil et M. El-Feskaoui, et particulièrement les membres de la délégation onusienne, avec une mention spéciale pour Mme Daes qui a fait l’effort de supporter un long voyage jusqu’à la petite localité de M’rirt. Belkacem Lounes a rappelé que Mme Daes est une éminente spécialiste de la question des droits des Peuples Autochtones aux Nations Unies, qu’elle a présidé durant plus de 20 ans le Groupe de Travail sur les droits des peuples autochtones et qu’elle a réalisé récemment deux études déterminantes sur "les peuples autochtones et leur relation à la terre" et sur "la souveraineté permanente des peuples autochtones sur la terre et les ressources naturelles". Le Président du CMA a ensuite justifié le choix du thème et du lieu de la conférence en précisant que le droit à la terre est un droit humain inaliénable et fondamental car il équivaut tout simplement au droit à la vie avant d’ajouter que "le CMA a voulu cette conférence à M’rirt, au cœur de l’Atlas, pour rendre hommage à la résistance légendaire des Amazighs de cette région et pour être au plus près des populations marginalisées et les écouter, ce qui ne leur est probablement jamais arrivé auparavant". Said Mahtat, Président de l’Association Ighboula est également intervenu pour souhaiter à son tour la bienvenue à tous les participants et pour se féliciter de la tenue, pour la première fois, d’une conférence internationale à M’rirt et sur un sujet qui touche au plus près les préoccupations des populations locales. "Cette conférence est un privilège qui fait la fierté de l’association Ighboula et des habitants de M’rirt" a-t-il indiqué.
Said Kamel, modérateur de la conférence a ensuite invité les conférenciers à prendre la parole.
Mme Daes a axé son intervention principalement sur le thème de la souveraineté permanente des peuples autochtones sur leurs terres, territoires et ressources naturelles. Elle a longuement expliqué que "le problème de la terre et des ressources naturelles et plus précisément la non-reconnaissance des droits des peuples autochtones et la dépossession de leurs terres, constitue aujourd’hui le problème le plus urgent et de nature fondamentale". Pour Mme Daes, les peuples autochtones ne considèrent pas la terre seulement comme un élément nourricier, mais aussi "comme un élément spirituel et culturel qui préserve leur intégrité physique et leur mode de vie et assure leur développement économique et social". Il y a donc un "besoin urgent de connaître et de reconnaître juridiquement les relations particulières qu’entretiennent les peuples autochtones avec leur terre, territoires et ressources naturelles". Après avoir présenté le cadre juridique et jurisprudentiel existant au niveau international sur ce sujet, Mme Daes a abordé les contenus conceptuels en précisant que le terme "souveraineté" n’est pas réservé exclusivement aux Etats, il est largement utilisé pour désigner différents types de gouvernement sans Etat et signifie pour un peuple, le droit de disposer de l’autorité nécessaire pour contrôler et gérer librement ses propres ressources naturelles. Et cette autorité ou souveraineté d’un peuple sur sa terre, ses territoires et ses ressources naturelles doit être "permanente" car elle se réfère à un droit humain inaliénable. Pour la conférencière, le droit à l’auto-détermination tel qu’il est défini par les textes pertinents relatifs aux droits de l’homme, c’est-à-dire "le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes et qu’en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel", n’a de sens que "s’il implique le droit fondamental à la souveraineté permanente des peuples sur leurs terres et ressources naturelles et que si cela est formalisé au plan juridique". Devant un public très attentif, Mme Daes a conclu son intervention par la proposition de 17 principes devant guider les politiques de reconnaissance, protection et promotion des droits à la terre et aux ressources naturelles des peuples autochtones.
Trisha Riedy a expliqué pour sa part le rôle de l’UNITAR dans la prévention et la gestion des conflits dans le monde et a illustré son propos en citant les nombreuses actions entreprises par son organisme et les résultats très probants obtenus. Samia Slimane a ensuite présenté les fonctions du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme et particulièrement les missions du Département chargé de la question des droits des peuples autochtones.
Maitre Hassan Id Belkassm a présenté avec soin les lois coloniales et nationales marocaines qui ont servi à déposséder les Amazighs de leurs terres, mettant ainsi en lumière les violations graves des principes élémentaires de justice et du droit international régissant cette question. Maitre Ahmed Barchil, avocat de paysans amazighs expropriés dans la région d’Agadir, a ensuite montré très concrètement en s’appuyant sur de nombreux cas réels, comment les lois nationales marocaines sur la terre et les ressources naturelles et l’usage de la force par l’Etat, transforment les Amazighs en paysans-sans-terre, les poussant à quitter leurs territoires ancestraux pour l’exil intérieur ou extérieur. Brahim El-Feskaoui, professeur à l’université de Meknès, a soulevé la question cruciale de l’eau, en précisant l’importance et la nécessité de la maîtrise de cette ressource par les Amazighs pour garantir leur survie et leur développement. Il a notamment souligné le fait que l’exploitation de cette ressource ne profite pas aux populations amazighes.
Une séance de trois heures a ensuite été consacrée à l’audition d’une quinzaine de représentants de différentes régions de Tamazgha et du Maroc qui ont exposé les cas concrets de spoliation durant la période coloniale et post-coloniale, d’occupation et d’exploitation illégales des terres et territoires, de pollution, de pillages des terres et des ressources naturelles (mines, eaux, forêts…) des Amazighs.
Les cas présentés lors de la conférence sont les suivants :
Canaries : Le fait colonial espagnol, la folklorisation de la culture autochtone canarienne, le surpeuplement organisé des iles par les européens menaçant la culture et l’équilibre écologique canariens, le rapatriement en Europe des ressources touristiques canariennes, l’installation de bases militaires étrangères et l’exploitation de l’espace territorial (terrestre, marin et aérien) de l’archipel canarien au profit de firmes et d’Etats étrangers.
Libye : Dépossession des Amazighs de leurs terres et territoires historiques et leur confinement dans les zones les plus arides, comme l’Adrar Nefussa, absence de reconnaissance et interdits concernant l’expression de la langue et de la culture amazighes.
Maroc : régions du Rif, Awam, Tanfnit, Wiwan, Tiqejwin, Tighedwin, Ait-Ourir, Demnat, Aghbalu N’Iserdan, Azilal, Tagzirt (province de Tawnat). Les témoins ont vigoureusement dénoncé les lois colonialistes iniques qui leur ont arraché la terre-mère, facteur vital pour le peuple amazigh, la corruption et les abus de pouvoir des autorités qui permettent les détournements des biens fonciers des Amazighs et l’exploitation sauvage de leurs ressources naturelles, les rejets toxiques dans la nature liés à l’exploitation des mines, polluant les pâturages et les eaux, en toute impunité, l’asphyxie des paysans par le Crédit Agricole et la négligence des zones rurales amazighes exclues des projets de développement socioéconomique et culturel. Plusieurs témoins ont utilisé le terme de "colonisation" pour résumer la situation à laquelle ils sont confrontés.
A la fin de la conférence, Mme Daes a exprimé sa grande satisfaction d’avoir participé à cette conférence et a remercié le peuple amazigh du Maroc pour son hospitalité et l’a assuré de son total soutien dans sa lutte pour accéder à sa souveraineté sur sa terre, ses territoires et ses richesses naturelles.
La journée fut ensuite clôturée par la lecture des recommandations de la conférence avant de céder la place à la soirée artistique animée par des groupes locaux (Ahidus, posésie…).
A noter que les débats se sont déroulés en grande majorité en langue amazighe, avec des traductions simultanées mises en place pour les invités étrangers.
La journée du 4 juin a été consacrée aux visites de terrain. Les délégations onusienne et du CMA se sont d’abord arrêtées à Khenifra où elles ont rendu visite à la Confédération des Zayan, qui dispose d’un terrain au centre de la ville et qui est actuellement l’objet de la convoitise des autorités locales. Le représentant de la Confédération a réaffirmé que ce terrain est un espace commun traditionnel des 13 tribus Zayan et qu’il n’est pas cessible et a profité de cette visite inattendue pour alerter la communauté internationale sur l’éventualité d’un coup de force des autorités et ses conséquences. La deuxième visite fut réservée à Tiqejwin, petit village situé dans une des régions les plus reculées du Moyen-Atlas. Les habitants heureux de cette visite inespérée ont exposé à la délégation des Nations Unies, les problèmes de la destruction de la forêt par des pilleurs organisés, étrangers à leur région et l’absence d’infrastructures publiques (structure sanitaire, eau, école…) qui témoigne de la marginalisation socioéconomique de leur région.
Recommandations de la Conférence de M’rirt
Considérant les dispositions du droit international,
Considérant les revendications du peuple amazigh concernant ses droits fondamentaux,
Considérant les témoignages exprimés lors de la conférence, concernant les violations flagrantes des droits des Amazighs à leur terre, territoires et ressources naturelles,
La Conférence de M’rirt recommande instamment à l’Etat marocain:
1-Reconnaître les droits des Amazighs à leur terre, territoires et ressources naturelles, y compris le droit aux ressources naturelles du sol et du sous-sol,
2-Traduire dans le droit interne toutes les dispositions du droit international, notamment le droit des peuples autochtones,
3-Abolir toutes les lois coloniales et post-coloniales relatives à l’exploitation des terres, territoires et ressources naturelles des Amazighs,
4-Recenser tous les cas de spoliation des terres, territoires et des ressources naturelles et déterminer leurs ayants droits,
5-Restituer aux Amazighs, les terres, territoires et ressources naturelles qui leur ont été confisqués durant l’ère coloniale ou post-coloniale. Lorsque cela s’avère impossible, leur proposer des terres de nature et étendue équivalentes ou leur verser des indemnités compensatrices équitables et librement consenties,
6-Prendre des mesures administratives et législatives visant à assurer la participation effective du peuple amazigh, à travers ses institutions représentatives, à tous les niveaux de prises de décisions, dans tous les domaines qui l’affectent, notamment dans le domaine de la terre, territoires et ressources naturelles,
7-Consulter de manière préalable le peuple amazigh sur tout projet d’investissement et/ou d’exploitation affectant les terres, territoires et ressources naturelles qu’il occupe ou qu’il a traditionnellement occupés. Le peuple amazigh doit toujours être préalablement informé pour pouvoir décider en parfaite connaissance de cause,
8-Mettre en place des programmes de sensibilisation des populations amazighes sur leurs droits à la terre, territoires et ressources naturelles,
9-Assurer de manière effective le respect et la promotion de l’article 8 de la Convention internationale sur la biodiversité, notamment le partage équitable des bénéfices issus de l’exploitation des connaissances et des ressources naturelles des Amazighs sur les terres et territoires qu’ils occupent ou ont traditionnellement occupés,
10-Préserver et promouvoir les valeurs culturelles et spirituelles des Amazighs, particulièrement leurs modes de production et de développement, sur leurs terres et territoires,
11-Suspendre toute exploitation par des firmes privées ou d’Etat, des terres, territoires et ressources naturelles des Amazighs jusqu’à la conclusion d’accords ou autres arrangements constructifs définissant les nouvelles conditions de l’exploitation de ces terres, territoires et ressources naturelles,
12-Faire évaluer par des experts indépendants, les dommages causés à l’environnement par l’exploitation des ressources minières et indemniser de manière équitable le peuple amazigh concerné,
13-Abolir le système des taxes locatives imposées aux Amazighs pour l’exploitation des terres communautaires qu’ils occupent ou ont traditionnellement occupées,
14-Annuler toutes les poursuites judiciaires engagées contre les Amazighs refusant de payer les taxes locatives pour l’exploitation de leurs propres terres, territoires et ressources naturelles,
15-Créer un Conseil National dédié aux droits à la terre, territoires et ressources naturelles et ayant pour mandat de lutter contre la corruption et les abus de pouvoir, composé majoritairement d’associations locales et d’ONG internationales,
16-Alphabétiser les populations amazighes dans leur langue et valoriser leur identité socioculturelle ainsi que leurs connaissances et valeurs spirituelles traditionnelles,
17-Constitutionnaliser la langue amazighe comme langue officielle.
Aux organes compétents des Nations Unies :
1-Organiser un séminaire régional de suivi de l’étude du Rapporteur Spécial des Nations Unies, Mme Erica-Irene DAES, sur le thème de "la souveraineté permanente du peuple amazigh sur ses terres, territoires et ressources naturelles", dans un des pays de Tamazgha,
2-Organiser un séminaire lors de la prochaine session de la Commission Africaine des droits de l’Homme et des Peuples, en partenariat avec le Groupe de Travail des communautés et peuples autochtones d’Afrique, sur le thème du "droit des peuples autochtones d’Afrique à leurs terres, territoires et ressources naturelles" ,
3-Organiser une formation destinée aux représentants amazighs (représentants de communautés villageoises, coopératives de production, associations de développement, de protection de l’environnement, associations socioculturelles, ONG…) sur les droits à la terre, territoires et ressources naturelles,
4-Organiser un séminaire dans un des pays de Tamazgha, sur le thème de la prévention et la résolution des conflits en lien avec les droits à la terre, territoires et ressources naturelles du peuple amazigh.

M’rirt, le 5 juin 2006
NB : Le CMA publiera dans leur intégralité et dans les meilleurs délais, les actes de la Conférence de M’rirt.
Congrès Mondial Amazigh
BP 124 – 108, rue Damremont 75018 Paris, France
Email : congres.mondial.amazigh@wanadoo.fr -