14 juin 2006


Né le 13 avril 1964 dans la région d’Agadir, El Hassan Bouod est arrivé clandestinement en France au mois de novembre 1983 avec en poche un Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) employé de bureau, mais animé d’une énorme volonté de faire sa place.
Chef d’entreprise basé à Marseille, ce « self made man » se nourrit de défis et de... challenges. Il livre sa vision sur le rôle que devrait jouer le Royaume en faveur des Marocains résidents à l’étranger, sur la création du Conseil royal dédié aux MRE, la représentativité politique au Parlement des Marocains venus d’ailleurs...
L’Economiste : De clandestin à chef d’entreprise, c’est un sacré parcours...
El Hassan Bouod : Je suis un « jeune » entrepreneur français d’origine marocaine qui s’appuie sur sa double appartenance pour créer, créer et encore créer. En 1994, avec mon frère, nous avons créé un groupe familial BHM (Bouod Hassan Mohamed) en plein cœur des quartiers nord de Marseille qui comprend une centaine de salariés et dont l’activité industrielle est la production et la commercialisation de viande et charcuterie hallal. Les crises de la profession (vache folle) ne nous ont pas aidés dans ce pari économique et après restructuration en 1997, le groupe s’est recentré sur son métier de base, le négoce et l’industrie, en cédant les actifs (magasins de bétails). Aujourd’hui, nous réalisons un chiffre d’affaires de 18 millions d’euros (198 millions de dirhams).
Et vous trouvez le temps de siéger au CJD, à la Chambre de commerce de Marseille, à la présidence de Zone franche ?
« Quand on aime, on ne compte pas ! ». Ma passion, c’est la création d’entreprises. C’est pour cette raison que je m’investis sans relâche dans les organismes et structures qui sont engagés dans ce processus comme le Centre des jeunes dirigeants, à la tête de l’association « Zone franche Marseille nord », dans le cadre de PACA Entreprendre, en qualité de membre du Conseil économique et social, à la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille. Cette expertise, j’ai décidé de la mettre au service du Maroc. La création du CJD Maroc en 2000 est le fruit d’une étroite collaboration avec Jamal Belahrach qui a assuré la première présidence du mouvement. La mise en place des réseaux Maroc Entreprendre s’inscrit également dans cette philosophie qui s’emploie à favoriser le rapprochement et l’échange entre les deux rives. Mieux se connaître permet de mieux construire ensemble sur le long terme.
Depuis 2002, le pays compte 16 CRI qui ont, entre autres, comme mission l’accompagnement à la création d’entreprises.
Maroc Entreprendre, c’est des entrepreneurs au service de la création d’entreprises. Nous aidons les jeunes créateurs à donner vie exclusivement à des sociétés de type Sarl et non sous la forme de Très petite entreprise ni de microcrédit. Quant au rôle des CRI, ils apportent leur expertise pour l’accompagnement dans les démarches administratives jusqu’à l’obtention du récépissé d’existence. C’est à partir de là que Maroc Entreprendre intervient sous différentes formes comme le montage d’un plan de financement ou encore par l’offre d’un prêt financier sans intérêt ni garantie qui varie en fonction de la taille du projet. Nous rendons bancable le projet, puis nous accompagnons le créateur dans un programme de formation (management, gestion). Actuellement, nous suivons 48 projets aidés.
Depuis le discours royal de novembre 2005, le « dossier » MRE a été dépoussiéré...
Ma position est claire sur le sujet. Je suis farouchement opposé à la représentativité des MRE au Parlement. Pourquoi ? Car elle va diviser les Marocains dans des mini-partis à la « sauce locale ». De plus, s’exprimer ou prendre position sur des réformes économiques alors que vous n’êtes pas imprégnés des réalités vécues par la population me paraît irréaliste. Le Maroc a besoin des MRE dans les pays d’accueil qui doivent s’inscrire dans un concept de lobbying et de réseautage. Feu Hassan II avait décidé de ne pas reconnaître la double nationalité pour des raisons sécuritaires. Résultat : une génération en déphasage. Aujourd’hui, l’environnement est différent. Je considère que « débaucher » des jeunes formés à la citoyenneté et à l’exercice de la démocratie dans les pays d’accueil à venir siéger au Parlement est un acte criminel.
Vous y allez un peu fort... En France, une nouvelle génération a réussi le pari de l’intégration politique, économique et sociale. Nombreux sont ceux qui assurent des fonctions à des niveaux de responsabilité élevés dans des ministères ou encore au sein de l’administration. Malheureusement, je crains que la relève (3e génération) ne soit pas en mesure de prendre le relais. Raison de plus pour ne pas déboussoler la 2e génération. La 1re a été complètement désorientée par les « amicales ». Que voulons-nous ? Une diaspora marocaine de haut niveau ou nous contenter de rester dans un rôle de collecteur de devises ! D’autre part, l’existence d’un ministère vitrine pour les MRE est très vexant au même titre que les conditions d’accueil qui sont réduites à la distribution d’eau fraîche. Soyons plus respectueux et ambitieux.
C’est-à-dire ?
Je suis pour une diaspora utile. Le Maroc doit se recentrer sur une vision de lobbying. Le Royaume ne doit pas avoir d’état d’âme ni de complexe à nourrir pour prendre une position tranchée, à savoir qu’il a besoin des MRE dans les pays d’accueil. Cela n’empêchera pas ceux qui ont des projets de venir investir ou de partager un savoir-faire. Toutefois, pour avoir une légitimité au Maroc, il faut être crédible dans les pays d’accueil. La promotion locale, c’est de pousser les Marocains d’ailleurs à exercer une citoyenneté pleine dans leurs pays d’adoption. Primo, cela renforcera leur position et, secundo, ils constitueront une force de proposition constructive. Je pense notamment au fait que la France ne compte pas de Chambre de commerce et d’industrie marocaine. Nous pourrions militer dans ce sens.
Une intégration « réussie » dans un pays passe-t-elle nécessairement par la capacité de l’individu à faire des concessions ?
Issu d’un milieu plus que modeste, mes parents m’ont appris à souffrir tout en respectant les autres. Toute ma vie, je me souviendrai d’une image. Nous sommes en 1986 et je reçois mon premier avis d’expulsion du territoire français alors que nous avions prévu l’inauguration de notre société qui employait une centaine de personnes. En 2001, c’est le refus de ma naturalisation que je devais accepter. Puis, c’est la visite d’inspecteurs fiscaux qui sont allés jusqu’à fouiller le cartable d’école de ma fille. Que faire ? Brûler des voitures ou me battre pour inverser la tendance. J’ai opté pour le combat. Certes, les discriminations sociales existent, mais les « incompétents » aussi, j’entends par là, ceux qui ne souscrivent pas aux valeurs véhiculées dans le pays où ils résident.
Vous faites référence aux émeutes dans les banlieues. Marseille a été épargnée du « clash ».
Si la ville de Marseille n’a pas été touchée, ce n’est pas le fruit du hasard. Il faut savoir que le 9 septembre 2005, soit près d’un mois avant le début des émeutes, un forum économique d’envergure dédié à la diversité nationale dans l’entreprise s’est déroulé en présence d’élus et d’opérateurs économiques de la ville qui étaient venus très nombreux. Dans mon discours, j’ai exprimé aux chefs d’entreprises mon souhait qu’au sein de leur effectif la diversité culturelle soit une réalité. Il ne s’agit pas de transformer leurs entreprises en centres sociaux, mais d’intégrer cette composante de la société française dans leur quotidien, leur management d’aujourd’hui et de demain. Un propos que j’ai repris lors de l’audience avec le Premier ministre, Dominique de Villepin, le 13 décembre 2005 à l’hôtel Matignon dans le cadre des émeutes des banlieues.
Vous avez déjà été taxé « d’Arabe de service ».
Par un de vos confrères français de la presse écrite. Cette question le démangeait tellement qu’il a fini par me la poser.
Avez-vous été spontané dans votre réponse ?
Oui. J’ai répliqué que je préfère être un Arabe de service plutôt qu’un Arabe hors service. Je suppose que cela a été suffisant car le journaliste en question est passé à un autre sujet.
« L’Arabe de service » a-t-il des projets en vue au Maroc ?
Mes missions au sein de Maroc Entreprendre font que je me rends souvent à Casablanca. Tout ce qui peut permettre de rapprocher les rives Maroc et France m’intéresse. Si on souhaite mon implication, je serais toujours disponible.
Promo du Maroc à Marseille
« Le Maroc, un horizon économique qui se confirme » est une opération promo du Royaume initiée par El Hassan Bouod, qui se déroulera au sud de la France (Marseille), jeudi 15 juin 2006, en présence de personnalités politiques, d’opérateurs économiques et des représentants des Chambres consulaires régionales. A noter que l’ambassadeur du Maroc en France, Fathallah Sijilmassi, et Khalid Oudghiri, PDG d’Attijariwafa bank, seront présents sur le Vieux port.

Propos recueillis par Rachid HALLAOUY - L’Economiste